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Culture - Page 14

  • Erró - Retrospective au MAC

    Erró nous offre un éventail coloré de ses œuvres, réalisées à partir des années 50, dont les couleurs, le ton, le style, le format et l'écriture sont tellement variés que nous avons l'impression de découvrir à chaque pièce un nouvel artiste. 

    Les couleurs criardes se mêlent, parfois dans la même peinture, aux couleurs pastels, qui suggèrent le combat perpétuel entre tradition et modernisme. La première est symbolisée par des personnages japonais, aux visages poudrés et parés de vêtements délicatement brodés. L'artiste Islandais prend parti dans chacune de ses œuvres, en choisissant tantôt des peintures douces/amères, tantôt la provocation. Il semble alors dénigrer l'américanisation de l'art, et toute la tragédie marketing qui en découle depuis ses débuts artistiques. 

    On devine alors un regard méprisant sur son époque, dans laquelle la beauté pure est effacée par les sex bomb (expression qui figurera dans une de ses œuvres) aux formes sulfureuses des jeux vidéos et des starlettes modernes. L'artiste Islandais s'approprie la quasi totalité des mouvements picturaux : Picasso, Dali, Botticelli, Van Gogh, De Vinci, les cartoons, le pop art. Les jeux d'ombres nous oriente vers ce à quoi il attache plus d'importance et de considération, et donc de travail. L'artiste s'insurge particulièrement sur Atom Pantins, une série de personnages cadavériques qui se battent, se mangeraient presque. La loi du plus fort ? Une humanité qui se perd ? Les personnages sont asexués ce qui donne une ampleur au phénomène, à cette machine industrielle qui nous lobotomise et nous fait acheter ce dont on ne veut pas, nous fait rêver de ce que l'on n'aura jamais. Cette machine remplace petit à petit l'anatomie de l'homme : la standardiste devient sa propre machine à écrire, l'un ne va plus sans l'autre. Ce n'est plus l'homme qui contrôle le mouvement mais la technologie, qui le traîne en laisse jusqu'à l'aliénation. 

    Erró superpose les clichés des années 60 avec les faiseurs de scandales, les politiciens, les petits travailleurs, les bambins, même, car pour l'artiste tout le monde est dans le même sac de l'hypocrisie, des faux semblants, du paraître et de la manipulation. Pire, nous faisons de nos enfants les consommateurs de demain. Naître dans cette société c'est déjà faire partit de ces truands. La pop culture que l'on nous promettait en tête d'affiche ne se révèle être que la partie visible de l'iceberg, laissant même supposer que l'exposition est un piège, un appas pour amener ses amateurs à développer une vision différente de cet art capitalisé. Il semble nous siffloter à l'oreille : "Regardez ce qu'il se trame dans votre dos pendant que vous pensez réellement vous cultiver, vous n'êtes qu'un maillon de la chaîne capitaliste". Erró ne cesse de se référer au nazisme, pour nous rendre compte que l'art se trouve dans la même impasse totalitaire.

    L'artiste, loin de toute prétention, nous subjugue par des œuvres qui frappent par leur beauté et par leurs double sens. Une exposition qui ne peut se faire en moins de 2 heures car chaque pièce nous initie à de nouvelle réflexions sur notre époque et son devenir. 

     

    Jusqu'au 22 février au MAC - Cité internationale

  • Pièces Détachées, Les Maudits Gones

    Affiche.jpgQu'il est drôle de se replonger, cette fois-ci devant les planches d'un théâtre, dans l'univers particulier du dernier film regardé sur grand écran. A la manière d'un Nouveaux Sauvages, Pièces Détachées nous éclabousse d'absurdité en se dédouanant du facteur "réalisateur célèbre", tristement influençable pour le public mondain.

     
    Pièces Détachées, c'est l'assemblage absurde de petites saynètes qui dérangent presque par leur franc parler. On y croise des personnes comme vous et moi, donnant la réplique à des personnalités atypiques voire invraisemblables. Cette création des Maudits Gones dévoile une singularité de la troupe : elle nous enivre d'un monde modelé par leurs soins mettant les pleins feux sur des talents surprenants de spontanéité et de professionnalisme. On retiendra particulièrement l'histoire de la caissière revancharde, qui, désormais à la retraite, ramène tel un trophée son étalon attiffé d'une perruque Louis XVI. La liberté est évoquée, et pilote les dialogues de la compagnie : puisqu'il est question de liberté, pourquoi ne pas la revendiquer dans la démesure ?

    Les Maudits Gones, outre leur maîtrise de l'absurde, s'amusent de discussions qui interagissent avec leur public, on nous cite, nous montre du doigt, nous demande d'évacuer la salle. Le lien fort entre comédiens et spectateurs tisse une histoire qui à première vue se perdait des des nœuds indémêlables, et nous susurre cette question : "quel est le rôle fondamental du comédien ?" Nous montrer qu'il en est un, qui se plait à jouer de son public en l'emmenant là où il souhaite divaguer, ou bien s'effacer au profit de son personnage qui se décale de sa propre personnalité ? Les Maudits Gones, eux, n'ont pas tranché et nous offre un savoureux mélange de tableaux tantôt justes, tantôt surréalistes, tantôt pathétiques. C'est probablement ce qui souligne leur talent, car la maîtrise de l'autodérision ne découle pas toujours de la maitrise de l'humour. 
     
    Ces comédiens amateurs jonglant entre les différentes émotions peuvent se vêtir d'une vertu honorable : celle de la générosité. L'ensemble de l'argent récolté pour chaque spectacle est en effet reversé à des associations aux missions diverses (enfance, maladie, démunis...).
    De quoi rire tout en aidant des causes qui, comme la troupe des Maudits Gones, cherchent à réveiller le sourire du public qu'elle touche.
  • Les nouveaux sauvages, de Damian Szifron

    les-nouveaux-sauvages-resize.jpg        Un enchaînement de situations loufoques causées par un débordement psychologique : Les nouveaux sauvages capturent dans l’absurdité la plus totale le pas franchi entre la civilité et le pétage de plombs. Une succession d’histoires pathétiquement drôles nous tient en haleine et nous surprend par l’art de nous faire pénétrer dans ces esprits torturés par la pression, la colère, l’angoisse, la famille, la vie. Jusqu’où sommes-nous capable d’aller quand on pense ne plus rien devoir à personne ? La trame emporte avec sa folie démesurée une séduction coriace.

    Chaque personnage semble emprisonné dans un circuit fermé qui ne peut le mener qu’à leur destruction. Leur état tellement second devient pour certains une délivrance, qui les plonge dans un état de grâce par une satisfaction vicieuse : cogner, insulter, commettre l’irréparable deviennent les uniques réponses de leur cercle infernal. Ajoutez à cela des répliques cinglantes, et vous obtenez un cocktail énergique qui nous prend aux tripes. Les nouveaux sauvages ont l’art et la manière de nous faire passer un message paradoxal : être civilisé est un moyen de ne pas se laisser emporter par des comportements ou des situations pas toujours protocolaires. C’est bien de cela qu’il s’agit : les personnages de Damian Szifron refusent l’étiquetage, du bon citoyen qui paye, de la mariée qui accuse le coup face aux déviances passées de celui qui va être son époux. Ces situations improbables dévoilent subtilement les tares de notre époque, par toutes ces personnes surmenées, assignées au terme généraliste «dépression » qui évite de se pencher sur le problème. Les nouveaux sauvages sont la revanche saignante de ces citoyens laissés pour compte.

    Le réalisateur ne tombe jamais dans la caricature tant les actes sont irréfléchis et parfois en dehors de toute logique et expectations. Ce tourbillon de tranches de vies nous donnerait presque envie de relativiser nos petits problèmes du quotidien.

     

    Les nouveaux sauvages, janvier 2015