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Drame - Page 4

  • Much Loved de Nabil Ayouch

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    Des femmes assujetties à l'argent et aux désirs des hommes qui détiennent le pouvoir. Des femmes qui ne touchent de l'argent qu'à travers des billets froissés, glissés dans les seuls bouts de tissus de leur corps exhibé. Ce phénomène social traverse les siècles, pour arriver au Maroc des années 2010, où la prostitution côtoie le luxe.

    Much Loved porte des héroïnes hautes en couleur Noha, Randa, Soukaina et Hlima, fières et battantes. Le réalisateur pose un double regard entre le public et le privé, les apparences et les clichés contre les choix douloureux et les émotions. Le film distance la dégradation brutale de ses beautés de l'intime, pour s’épancher sur leur quotidien échiné de femmes dans un pays croyant et exigent. Much Loved est un cri de détresse lancé à ces filles, femmes, mères, qui vivent de sexe monnayé à prix fort, mais ne frôlent, même d'une caresse, l'amour en tant que tel. Car elles n'ont pas appris à aimer. Pour l'une, c'est un manque auprès de ses proches et une absence de communication envers sa fille, éclairée des activités nocturnes de sa génitrice. Pour une autre c'est une sexualité privée machinale et insipide. Leurs instants de gloire naissent des regards envieux et des fortunes amassées. 

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    Cru puisqu'il filme la vérité, Much Loved n'utilise de dentelles que pour marquer davantage les sous-vêtements de ses actrices. Il nous décrit d'un regard droit, ni accusateur ni partisan, les conditions, connues depuis, de femmes aux caractères colorés sans diplômes ou volonté pour aspirer à un autre monde, se confortant à ce qu'on leur offre et se satisfaisant de leur situation. Le film s'oriente vers un combat fataliste mais accepté de ces femmes, piégées par la Reine mère qui les chaperonnent ou par l'attachement à un confort qu'elle ne trouveront nulle part ailleurs. On nous présente ainsi un Marrakech frivole, sans grande nouveauté donc, mais la douceur de la caméra de Nabil Ayouch étrécit la vulgarité de certaines scènes.

    En marge de ces scènes de désinhibitions festives se glissent des seconds rôles qui bombent le scénario, montrant qu'un autre chemin est possible lorsque l'on se bat pour étudier, sortir de cette misère imposée sous la forme d'une cage dorée. Much Loved participe à la polémique sur la prostitution en proposant une alternative artistique, qui est celle du 7ème art, pour nous donner un regard, son regard, sur l'un des plus grand tabous social de ces dernières années.

  • Vice-Versa des studios Pixar

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    A la vue des critiques laudatives qui prolifèrent depuis la sortie de ce dernier Pixar, ma curiosité a gagné le combat contre cette déferlante médiatique qui considère presque déjà Vice-Versa (ou Inside Out) comme le meilleur Pixar jamais réalisé. Lorsque l'enchantement autour d'un film est quasi unanime, nous le plaçons indéniablement sur un sommet, battit d'ingéniosité et de créativité. Mais le risque de cette sur-estimation s'est révélé à la fin de cette ribambelle d'actions cocasses mais pourtant creuses. Vice-Versa séduisait par un projet des plus ambitieux : après avoir pensé les émotions de nos jouets d'enfants, de notre poisson de compagnie, de nos véhicules ou encore du monstre dans notre placard, il s'intéresse aux émotions DE nos émotions. Et la triste ironie est qu'il ne s'en développe aucune. Ce qui pourrait être de la compassion pour cette jeune fille, qui déménage et quitte prématurément le berceau de son enfance, relève d'avantage d'une indifférence grandit par un ennui post-découverte. Le scénario s'étire difficilement sur tout le film, rebondit par quelques scènes d'"action", qui le meuble plutôt que de le dynamiser. La matérialisation du monde de Riley, 11 ans, qui s'écroule par des îlots aux diverses caractéristiques est la trouvaille fine qui permet un mouvement aux émotions personnifiées que nous suivons. Étrange de voir que même si les effets et le travail sont là, la magie n'opère pas. A ce que l'action était aux Indestructibles, l'émotions à Là-haut et la sensibilité à WALL-E, Vice-Versa se perd dans plusieurs de ces terrains.

    On découvre, on s'émerveille, on regarde, on se lasse. Peut-être faudra-t-il emprunter un peu d'absurdité aux anciens pour relever la sauce du prochain long-métrage ? Même si l'originalité est appréciable, seul le petit grain de folie peut bouleverser l'écran, car quand il y a folie il y a surprise. Et qu'enfin l'enfant qui est en nous éclate plutôt que de subir les déboires fragilisées d'un tendre compère. 

     

    Vice-versa, juin 2015

  • Appels entrants illimités au TNG

    Dans une perpétuelle dérision et absurdité se dessine dans les entrailles d'Appels entrants illimités des éclats de noirceurs sur notre condition d'homme. Nous rencontrons trois colocataires, perturbés, aiguisés, presque trop différents pour être réellement ensemble. Un grand, filiforme, qui se pose des questions sur l'humanité, les OGM, qui ne sait jamais quoi répondre lorsque la sonnerie du téléphone retentit et qui parjure la télévision. Un petite, un peu ronde, qui camoufle son hypersensibilité par des déguisements d'homard, de poule ou de jeune fille sûre d'elle. Et une dernière, le dernier lit de Boucle d'Or, banale dans son physique, quoique jolie et un vaniteuse, et irrémédiablement et dépressivement timbrée. Une horreur les rapproche : le monde extérieur, symbolisé sur scène par un tunnel morbide en papier blanc, qu'ils pénètrent toujours en cas d’extrême nécessité. On préférera même vaporiser les poubelles de sent bon plutôt que de les sortir et se confronter à leurs jugements, leurs étiquettes, leurs vies parfaites et bien rangées.

     

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    La pièce s'interrompt frénétiquement par des appels, ou plutôt des courtes phrases assemblées sans logique apparente, qui résument les informations quotidiennes qui nous sont projetés, les faits divers, la guerre, la corruption, le drameNous vivons dans un drame, et leur drame à eux est de trop le savoir. Louis, Anna et Charlotte nous racontent ainsi, avec leurs accents québécois si chaleureux, des petites histoires qui leur sont arrivés. On pense alors à de simples anecdotes, pour discuter, meubler leur refuge, mais nous y décelons des appels au secours. Les gens qu'ils rencontrent, les situations qu'ils vivent, nous cognent à notre conformité. Pourquoi faut-il savoir bien chanter pour monter sur la scène d'un karaoké ? Pourquoi se plier à un cadre qui ne nous est pas pas ajusté ? Pourquoi ne pas pouvoir penser et crier à la société que nous nous aimons, tels que nous sommes ? Ces spécimens voudraient l'amour mais ne reçoivent que des paillettes, du matériel sans âme et sans fond. Appels entrants illimités, c'est un peu résumer la folie et l’enchaînement incontrôlable des jours, des rencontres, des histoires, de notre vie.

    Par delà l'imagination débordante à en époumoner le spectateur qui tente de les suivre, nous en tirons notre propre aperçu de la pièce. Nous choisissons d'en saisir un certain sens, de prendre les bribes de ces dialogues, de choisir de les écouter ou de les comprendre, de se rappeler pourquoi nous sommes venus voir cette pièce, ou pourquoi nous sommes vivants.

    Un véritable chef d'oeuvre.

     

    Appels entrants illimités, mai 2015 au TNG