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Théâtre - Page 5

  • Yael tautavel ou l'enfance de l'art

    yael-tautavel-ou-l-enfance-de-l-art,--a-quai-des-arts,-mardi-16-mars,-a-20h--240.jpgYael est le petit dernier de la famille Tautavel, né sous la tragédie du Grand Exode : un jour, ou plutôt une nuit, tous les animaux ont déserté leur ile à cause de l'irrespect de l'homme. Quelque chose que nous n'avons jamais connu peut-elle nous manquer ? C'est à travers le regard de son grand frère, meilleur ami et guide, qu'il cultive la volonté de partir à la recherche de ces bêtes, les voir, les aimer, et les manger un peu. Le jeune garçon porte un regard pleins de malice sur ce voyage, qui prend une toute autre tournure : plus que la découverte d'un monde, il en devient la découverte de soi et de l'amour. L'amour de l'art pour l'un, l'amour d'une femme pour l'autre. Les mimiques enfantins et la voix nasillarde de Yael cachent des références poétiques aux problèmes actuels des jeunes à l'aube de leur vie d'adulte : comment s'épanouir dans un milieu incertain et face à des concepts encore bien troubles ? Yael se retrouve confronter au problème de l'amour, qui le nourrit dans ce qu'il aspire mais qui l'éloigne de son frère, qui n'a plus d'yeux que pour sa dulcinée. Le TNG s'amuse des doubles sens qui prêtent à sourire pour les plus grands : "où est ta mère ?" "Elle suce des pissenlits à la racine !" ou bien "Roméo va encore rentrer dans Juliette", qui se mélangent à des propos plus tendres lorsque Yael apprend de celui qui l'a initié à l'art : 

    "- Tout se peint Yael, absolument tout. Les taureaux, les dragons, le nuages, les pensées, les sentiments, les gens qu'on aime...

    - Même les gens qu'on aime et qui nous manquent ?

    - Surtout ceux-là.

    - Moi, si j'avais quelqu'un de prisonnier dans mon manque, j'aimerai bien pouvoir lui rendre la liberté."

    Le petit Yael grandit sous nos yeux et découvre qu'aimer, c'est apprendre à accepter que l'autre puisse aimer quelqu'un d'autre que soi, que l'amour se partage sans qu'il ne soit altéré. Il ne se divise pas mais se décuple, au fil de nos rencontres, de nos découvertes, et c'est une partie de son amour que Yael nous projette sur une toile suspendue au dessus du public par un lancé de peinture en direct sur un projecteur. 

    Cette pièce, débordant de spontanéité et de répliques à conserver, étonne par son franc parler. Elle illustre parfaitement l'enfance où l'on découvre l'amour et le partage, où nous sommes révoltés, rieurs, incompris, gourmands, sans gènes. Yael Tautavel ou l'enfance de l'art nous dit que nous ne pouvons vivre au dépend de quelqu'un d'autre toute notre vie, qu'il faut savoir prendre notre envol quand le moment est choisit. Et quoi de mieux que l'art pour nous servir de tremplin ?

     

    Yael Tautavel, décembre 2014

     

  • La Maison près du Lac de Yael Rasooly

    "L'histoire se passe en Europe Centrale,  il n'y a pas si longtemps" le récit débute, oscillant entre chants de cabaret et conte pour enfant, par la moyenne des trois sœurs qu'abrite cette maison. Trois soeurs aux caractères bien trempés à qui on a enseigné les bonnes manières et les leçons pour devenir des demoiselles bien éduquées. Mais leur innocence est voilée par l'attente du retour d'une mère disparue depuis bien trop longtemps. Sans prévenir. Sans leur avoir laissé de quoi manger.

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    Les journées défilent et les sœurs se plient à une mécanique quotidienne de leçons de grammaire, de danse classique, de musique et de langues. La vie se passe, la poésie accompagne leur routine. Petit à petit, leurs doigts se mêlent aux touches du piano, ce ne sont plus leurs poupées qui font l'intermédiaire avec les objets mais leurs propres membres qui glissent dans le stoïcisme : elles deviennent les objets de leur maison, qui n'ont plus de cœurs pour penser ou de cerveau pour sentir leur creux au ventre. Le temps du jeu est révolu, la tête de leurs poupées est arrachée et leurs corps soudés à ceux des fillettes créant un décors mirifique et terrible. Elles sont désormais ces poupées avec lesquelles elles s'amusaient lorsqu'elles formaient une famille heureuse et complète. 

    L'hiver vient assombrir ce fragile univers, portant dans son épais manteau l'effroyable vérité : leur mère ne reviendra plus. Yael Rasooly dévoile artistiquement l’horreur de la rafle et les faits véridiques d'enfants laissés pour compte ou forcés à se cacher dans de lugubres endroits durant des mois. Elle dépeint trois jeunes filles, probablement de 6, 8 et 10 ans, dont la force mentale surpasse leurs maigres années. Imaginant, pour ne pas perdre espoir, qu'un prince viendra les sauver, s'amusant d'un rien et se délectant de repas faits de restes émiettés. Leur candeur s'envole dans une métaphore d'ange voilé de blanc qui les enlace. L'enfance meurt avant que leur corps ne les lâche.

    Et une nuit, enfin, quelqu'un frappe à la porte. Est-ce leur mère ? Ces hommes vêtus d'uniformes militaires ? Ou bien la mort, venue les délivrer ?

     

    La Maison près du Lac, mi-novembre 2014 au TNG

  • Pourvu que ça chante !

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    Deuxième apparition de la pièce La Carriole Fantasque de Monsieur Vivaldi au TNG. Forte d'un élan de critiques positives au cours de la saison 2013-2014, M. D'Introna a voulu donner un second éclat à ce spectacle aux allures de cabaret.

    "Sur scène, nous sommes neuf comédiens dont un squelette" ces mots prononcés par l'un des membres de La Compagnie des Gentils à l'ouverture de la saison 2014 ont d'emblée donné le ton de la pièce : loufoque, chaleureuse, enivrante, unique. Déjà installée sur le bord du plateau avec la carriole recouverte d'un long drap, la troupe nous accueille et nous fait patienter de manière ludique et originale. Les lumières s'éteignent. La carriole Fantasque de Monsieur Vivaldi nous est enfin révélée : un décor de bric et de broc semblant être la dissection d'une caravane de vagabond. Et parmi ce fouillis organisé, un squelette, sur une chaise, comme s'il s'était éteint la veille et qu'une brise hivernale lui avait dérobé la peau.

    Monsieur Vivaldi, homme singulier aux abords de la folie, n'a eu pour compagnon de fortune que son unique carnet dans lequel il griffonnait tantôt des chansons, tantôt ses états d'âmes au fil des saisons. Sur la couverture, une inscription : "Pourvu que ça chante".

    Nous suivons la vie d'un groupe de jeunes gens complètement déjantés qui décident de faire revivre le squelette en respectant sa toute dernière requête : "Ne m'enterrez pas tant qu'il reste de l'espoir". Ils vont de villes en villes pour insuffler au monde entier un élan d'optimisme et de joie de vivre.

     

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    Le répertoire du carnet de Monsieur Vivaldi est un mélange aussi désordonné que sa carriole : Fernandel, Luis Mariano, Ray Ventura, Annie Cordy, et tant d'autres partagent avec le squelette une renaissance contemporaine par des accords et des mélodies retravaillées qui se suivent et ne se ressemblent pas. Les saisons passent, Monsieur Vivaldi connait l'amour, la folie, la crise, l'alcoolisme, et chacun de ces thèmes sont adroitement abordés par ces chanteurs-comédiens dont le talent déborde du plateau. Mieux, ils viennent à notre rencontre en nous baisant la joue pour la Chanson des Baisers ou en surgissant de la porte arrière de la salle en costume d'italien fou furieux. Le spectacle excelle par tous ces rebondissements : La Compagnie des Gentils a l'art de captiver petits et grands en maniant un humour dérisoire et subtil pour les plus grands. S'il y avait un mot pour résumer cette énergie communicative, ce serait l'audace : oser parler de la crise sur un air jovial et candide, oser souiller nos souvenirs d'enfance en transformant le Petit Chaperon Rouge en une blonde écervelée en tenue légère et provocatrice, oser se moquer des amoureux du bar. La pièce vit, et honore ainsi le testament de ce charmant squelette au chapeau haut de forme qui semble suivre avec attention le parcours de ces jeunes gens.

    Accompagnée de mon grand-père et assise à côté d'une fillette, j'ai pu constater tout au long de cette heure trente le pouvoir de rassembler toutes les générations du public. Cette carte maitresse redore l'histoire du TNG : il est intergénérationnel.

    Le spectacle ne pouvait se finir sans une standing ovation méritée.

     

    La Carriole Fantasque de Monsieur Vivaldi, au TNG jusqu'au 19 octobre