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Art - Page 10

  • Magic in the Moonlight, Woody Allen

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    C'est l'histoire d'un homme qui rencontre une femme. Non, c'est l'histoire d'un personnage suffisant persuadé qu'il n'y aucune forme de vie parallèle à la condition humaine et d'une charmante medium qui va tenter de lui donner un regard différent sur ce qu'il touche, sur ce qu'il voit, sur ce qu'il ressent. 

    Nous plongeons dans un univers cinématographique proche du milieu du siècle dernier pour suivre l'étrange affaire de Stanley Crawford, magicien de renom lorsqu'il est sur scène, qui en dehors des paillettes réfute toute sorte de magie. Celui-ci se rend, accompagné de son acolyte Howard Burkan, dans le sud de la France pour tenter de démasquer une jeune medium du nom de Sophie Baker à la beauté intrigante qui s'est liée avec les Catledge, famille de haut rang. Il y rejoint également sa tante, pour qui il porte une tendre admiration. Cependant, malgré les jours à cotoyer la voyante et à assister à ses rencontres avec l'autre monde, il n'arrive pas à déceler le truc, la supercherie que lui utilise dans ses spectacles. Comment cela est-il possible ? Existerait-il vraiment un "au delà" ? Le personnage de Stanley se déride au fil du film, il prend connaissance, au contact de la jeune fille, de la beauté qui l'entoure, du ciel étoilé dans l'observatoire de son enfance au parfum des roses rouges du jardin des Catledge qu'il avait pourtant traversé à maintes reprises. On pourrait penser que l'histoire va s'engourdir dans une suite mielleuse, mais l'écriture, la maitrise irréprochable de l'humour dans des dialogues et des situations absurdes et le cynisme qui rend le personnage de Stanley Crawford si attachant donnent du relief à l'histoire. Même si mademoiselle Baker possède de nombreuses cordes à son arc, elle se confronte à son plus grand étonnement à un homme qui ne se laisse pas si aisément berner, le dotant d'un charme qu'elle ne sait expliquer. Le cadrage, les tenues, les musiques apportent une ambiance particulière au film, que nous retrouvons par exemple dans Minuit à Paris sortit en 2011 qui plongeait Owen Wilson dans un Paris des années folles. 

    Puis, nous découvrons une sensibilité touchante chez Sophie Baker, jeune fille issue d'un milieu pauvre dont la mère souhaite créer une fondation. Elle n'a que sa jeunesse et ses grands yeux bleus pour s'en sortir. Duper des personnes qui n'ont plus que l'espoir est alors un stratagème imparable, car la persuasion dompte la bonne conscience. Mais cela ne la laisse pas de marbre, particulièrement depuis que Stanley Crawford entre dans le jeu.

    La magie est donc pour Woody Allen une inclinaison vers un optimisme à toute épreuve. Si nous savons que nous ne sommes condamnés, nous pouvons vivre tranquillement et profiter de l'infinité de choses à découvrir. Woody Allen, comme dans beaucoup de ses oeuvre, y retranscrit sa peur intime de la mort. Ses personnages rendent parfaitement compte que croire ou ne pas croire en Dieu, aux esprits, au paradis ou à la résurrection n'est pas le plus important. Croire en quelque chose qui est faux de nous rend pas stupide mais donne du sens à ce que l'on est. La magie, qu'elle soit réelle ou artificielle, apparaît comme le moyen de supporter davantage son existence et même mieux : d'en cultiver l'importance.

     

    Magic in the Moonlight, novembre 2014

  • Pourvu que ça chante !

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    Deuxième apparition de la pièce La Carriole Fantasque de Monsieur Vivaldi au TNG. Forte d'un élan de critiques positives au cours de la saison 2013-2014, M. D'Introna a voulu donner un second éclat à ce spectacle aux allures de cabaret.

    "Sur scène, nous sommes neuf comédiens dont un squelette" ces mots prononcés par l'un des membres de La Compagnie des Gentils à l'ouverture de la saison 2014 ont d'emblée donné le ton de la pièce : loufoque, chaleureuse, enivrante, unique. Déjà installée sur le bord du plateau avec la carriole recouverte d'un long drap, la troupe nous accueille et nous fait patienter de manière ludique et originale. Les lumières s'éteignent. La carriole Fantasque de Monsieur Vivaldi nous est enfin révélée : un décor de bric et de broc semblant être la dissection d'une caravane de vagabond. Et parmi ce fouillis organisé, un squelette, sur une chaise, comme s'il s'était éteint la veille et qu'une brise hivernale lui avait dérobé la peau.

    Monsieur Vivaldi, homme singulier aux abords de la folie, n'a eu pour compagnon de fortune que son unique carnet dans lequel il griffonnait tantôt des chansons, tantôt ses états d'âmes au fil des saisons. Sur la couverture, une inscription : "Pourvu que ça chante".

    Nous suivons la vie d'un groupe de jeunes gens complètement déjantés qui décident de faire revivre le squelette en respectant sa toute dernière requête : "Ne m'enterrez pas tant qu'il reste de l'espoir". Ils vont de villes en villes pour insuffler au monde entier un élan d'optimisme et de joie de vivre.

     

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    Le répertoire du carnet de Monsieur Vivaldi est un mélange aussi désordonné que sa carriole : Fernandel, Luis Mariano, Ray Ventura, Annie Cordy, et tant d'autres partagent avec le squelette une renaissance contemporaine par des accords et des mélodies retravaillées qui se suivent et ne se ressemblent pas. Les saisons passent, Monsieur Vivaldi connait l'amour, la folie, la crise, l'alcoolisme, et chacun de ces thèmes sont adroitement abordés par ces chanteurs-comédiens dont le talent déborde du plateau. Mieux, ils viennent à notre rencontre en nous baisant la joue pour la Chanson des Baisers ou en surgissant de la porte arrière de la salle en costume d'italien fou furieux. Le spectacle excelle par tous ces rebondissements : La Compagnie des Gentils a l'art de captiver petits et grands en maniant un humour dérisoire et subtil pour les plus grands. S'il y avait un mot pour résumer cette énergie communicative, ce serait l'audace : oser parler de la crise sur un air jovial et candide, oser souiller nos souvenirs d'enfance en transformant le Petit Chaperon Rouge en une blonde écervelée en tenue légère et provocatrice, oser se moquer des amoureux du bar. La pièce vit, et honore ainsi le testament de ce charmant squelette au chapeau haut de forme qui semble suivre avec attention le parcours de ces jeunes gens.

    Accompagnée de mon grand-père et assise à côté d'une fillette, j'ai pu constater tout au long de cette heure trente le pouvoir de rassembler toutes les générations du public. Cette carte maitresse redore l'histoire du TNG : il est intergénérationnel.

    Le spectacle ne pouvait se finir sans une standing ovation méritée.

     

    La Carriole Fantasque de Monsieur Vivaldi, au TNG jusqu'au 19 octobre

  • Les oiseaux ne chantent plus

    Essai

    J'ai toujours eu une attirance envers la douleur. Petit garçon, je m'amusais à coller furtivement ma langue contre la pile de la télécommande de chez mémé, confortablement installé dans son clic clac des années 90, aux tâches de café séchées par le temps et à l'odeur indescriptible de personne âgée. Cela apportait quelques couleurs aux émissions soporifiques des dimanches après-midi. J'avais 6 ans. Ce fut le début d'expériences tout aussi bêtes que dangereuses : tester les fils électriques sous hautes tension, escalader à mains nues les falaises qui longeaient l'unique route de ma maison de vacances, peignant mes paumes d'un violet nuancé dans lequel je trouvais une certaine forme d'art et de satisfaction. Avec la quinzaine arrivèrent les premiers tatouages à l'ancre de chine aujourd'hui bavures noires et illisibles retraçant une amourette adolescente et l'essai de quelques dessins tribaux sans grande originalité. Il va s'en dire que je n'étais pas le plus tendre à la cour de récrée. Des problèmes, on m'a a cherché peu, des poings, il s'en est distribué des centaines. Je me délectais de la sensation de mes phalanges qui s'éclatent d'un son roque et puissant contre la joue rose d'un benêt trop prétentieux. Il m'en fallait plus. Mais je devais jouer dans la subtilité, pour ne pas finir marginal ou bien cloîtré entre quatre murs.

    C'est donc tout naturellement que je suis tombé amoureux de Mathilde, jeunette blonde foncée aux quelques tâches de rousseur, la vingtaine superbe, qui m’entraîna dans les profondeurs de son foutu univers. Les débuts furent très difficiles. Nous nous gavions de dîners aux chandelles, nous saoulions de soirées mondaines, et rencontrer ses amis était l'assurance d'une personne de plus sur terre à mépriser. Nous déblatérerions des mots d'amours et des surnoms ridicules à concurrencer le gang des demoiselles naïves de ce cher Walt qui s’éprennent du premier venu dès lors que coule en lui un sang royal. A vomir. Puis notre relation s'est peu à peu améliorée. J'alimentais mon monstre intérieur d'insultes et de bagarres puériles, qui, se cognant contre mes tympans, adoucissait la tempête de mon esprit. Mais  je revenais toujours à la charge. Je recommençais à fréquenter la source de mon malheur, celle qui me coupait le souffle et me retenait, par ses griffes peintes de rose, dans une histoire vouée à ma destruction. C'était donc ça, ce sentiment avec un grand A qui obnubile nos conversations, nos écrans télévisés, nos romans à succès ? Mais je ne voulais pas de tout ça, de toute cette mascarade hollywoodienne.

    Je voulais sentir.

    La douleur de ressentir une caresse, la douceur d'éprouver un coup.