Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Automne Atone - Part 2

     

    La Chine. C'est le sujet dont il a parlé durant des heures. Non, en fait, durant environ quarante minutes, heure de la commande du café crème pour lui et du Perrier pour moi. Il y avait une étrange aura qui planait autour de nous. Je suis convaincue que si nous faisions un rapide sondage auprès des tables proches de la notre, la majorité des assiégeants pencherait pour une amitié de plusieurs années. J'aurais estimé la moyenne à 5 ans.

    "- Mais, entre nous, je ne pense pas que ce pays te plairait, continua-t-il d'un air plus grave.

    - Ah bon ? interrogeais-je, étonnée, et qu'est-ce qui te fait penser cela ?

    - C'est une culture, une société totalement différente de la notre. Les femmes y tiennent une place très secondaire. Les hommes, les mâles, dans le sens de ceux qui tiennent ou pensent tenir la société d'une main forte et virile, ne se comportent pas comme en Europe. Ils vont au boulot, en sortent, se saoulent la gueule comme s'ils pensaient trouver une nouvelle vie au fond de chaque verre, puis vont voir des filles de joie et s'amusent des heures durant. Pendant ce temps, madame reste à la maison, attendant son mari avec un repas longuement cuisiné. Puis vient l'heure de son retour, à demi-mort, sentant tous les vices de cette ville bouillonnante, la lune est déjà blanche et brillante. Ils réclament popote et câlins, sans quoi ils sévissent. Avec ton indépendance et ton franc parler tu ne tiendrais pas une semaine, termina-t-il par un sourire condescendant."

    Je réfléchis quelques instants. Il m'avait bien cerné. Cherchant mes mots dans les vitres opaque de ce bar rustique, qui mêlait des effluves de fritures et de bière amère, j'en oubliais de répondre immédiatement. Je n'étais pas vraiment amatrice de ce genre d'endroit mais je devais avouer qu'il en résultait un charme simple.

    "- La différence, dans un pays étranger, ce n'est pas eux, c'est nous qui l'apportons. Et ce qui est excitant, de se poser ces questions quelques mois, jours, minutes avant de poser les pieds sur cette nouvelle terre d'exploration : est-ce que l'on s'y plaira ? Est-ce que l'on devra lutter, se faire violence ? Je crois que la déception du voyage est un tabou. Quand on part, c'est forcément génial. C'est forcément dépaysant, riche, merveilleux. Mais est-ce qu'il y a une place pour les réels sentiments ?

    - J'aime bien ta manière de penser, Caroline.

    - Moi j'aime bien nos discussions."

    Nous nous quittâmes timidement, dans la gène d'une complicité naissante. Cette vision partagée du monde et cette sensibilité nous affectait dans nos rapports. Deux âmes ébranlées par la difficulté que l'on a à se sentir bien dans notre ville, dans notre petit monde fait de canapés unisexe et d'une télé à toujours zapper. J'étais bien avec lui, il apportait de la couleur à un Automne qui n'en aura pas. 

     AUTOMNE.jpg

  • Le coeur régulier - Interview de Vanja d'Alcantara et d'Isabelle Carré

    La beauté des paysages tient-elle une place importante dans votre film ?

    Vanja D'Alcantara, réalisatrice : Oui bien sûr. Je suis très sensible à la beauté, je ne pense pas être la seule, pour moi elle renoue avec une forme de beauté intérieure. Quand on est face à un beau paysage, cela reflète forcément quelque chose qui est à l'intérieur. Alors évidemment ce n'est pas une raison pour être triste quand on est dans un décors moins beau, au contraire ! Mais je crois surtout que lorsqu'on raconte une histoire comme Le coeur régulier, c'est aussi l'environnement qui fait le chemin d'Alice, sa transformation. Ce lieu où se côtoie la vie est la mort, ces personnages, sont les éléments qui vont aider Alice à renaître de ses cendres. Cette beauté est presque un personnage du film, il a fallu donner une texture au film, une couleur, et de ça une envie d'inviter le spectateur à faire le voyage.          

          P3_HD.jpg

    Comment avez-vous pensé à cet élément déclencheur qui allait inciter Alice à partir ?

    Vanja D'Alcantara : Au départ j'avais entendu parlé de cet homme, ce vieux japonnais, qui recueille les gens près des falaises et leur laisse le temps de se reconstruire. C'est cette histoire que j'avais envie de raconter. Mais je trouvais qu'il me manquait un axe, comme si je n'avais pas la légitimité en tant que cinéaste européenne de raconter l'histoire d'un japonais. Et je suis tombée sur le roman d'Olivier Adam, qui s'inspire de ce même Daïsuke mais en utilisant le point de vue d'une occidentale qui suite à un drame va partir au Japon. Donc c'est dans ce roman que j'ai trouvé la clé du début de l'histoire, cet enjeu dramatique qui permettait à Alice de sortir de cette vie parfaite, très linéaire, et de vivre à nouveau.

    Travailler avec une équipe japonaise et européenne a-t-il été simple ?

    Vanja D'Alcantara : Nous travaillions avec une maison de production locale, avec une directrice de casting, une décoratrice, il y a eu une équipe japonais assez importante et un casting important aussi. Les japonais ont été très accueillants, très ouverts. Je pense que cela tient du film, car il met en avant leur culture, leur pays, cela leur a beaucoup plu. Un plateau de tournage japonais est en général plus hiérarchisé, autoritaire, avec une certaine forme de pression infligée aux acteurs. Ils ont été ravi de la sérénité avec laquelle nous avons tourné, de voir que nous pouvions rire tout en étant à la fois très concentré. Ils étaient au Japon mais sur un tournage étranger, et je crois qu'ils ont sincèrement apprécié participer à cette aventure.

    le-coeur-regulier.jpg

    Pour vous, quelle histoire raconte-on en premier plan ? Celle d'Alice, du Japon, de Daïsuke ?

    Isabelle Carré, actrice : Alice est pour moi une sorte de vecteur, pour permettre au spectateur de suivre cette trajectoire, cette exploration, cet autre moyen d'aborder la vie. De mon point de vue le personnage principal est Daïsuke, ou le japon. Daïsuke surtout. À la lecture du scénario, j'ai trouvé cela formidable de raconter l'histoire d'un homme qui, ancien flic, n'a pas supporté d'arriver trop tard plusieurs fois et décide de consacrer sa vie à en sauver. Une, puis deux, puis dix. Cet altruisme engagé était une chose merveilleuse à raconter.

    le_c_ur_regulier_un_film_qui_met_le_japon_a_l_honneur_5687.jpg

    Cet environnement nouveau a-t-il influencé dans votre jeu d'actrice ? 

    Vanja D'Alcantara : On découvrait un lien entre les acteurs qui s'est tissé au fur et à mesure du film. J'ai senti à travers le tournage, et donc le voyage, qui se sont fait en parallèle et qui ont créé les personnages, que quelque chose se transformait, se dégageait de la caméra. C'est Isabelle qui vit des choses, et qui inspire le personnage d'Alice. Chaque personnage a été une rencontre, un choc des cultures, qui dépasse la fiction. J'ai filmé ce qui se passait devant mes yeux.

    Isabelle Carré : Des expériences comme celles-là sont un enrichissement pour un acteur. J'ai lâché prise, laissé aller mes émotions pour les vivre réellement. Ce sont des choses qui nous bouleversent, qui nous changent. C'est salvateur, et je ressors de là grandie.

        lecoeurregulier.jpg

    Propos recueillis à l'hôtel Carlton, Lyon 2e.

  • Le coeur régulier, de Vanja D'Alcantara

    Après la mort de son frère Nathan, Alice se rend au Japon où ce dernier projetait d'y vivre. En annonçant son décès à sa petite amie japonaise, Alice apprend l’existence d'un homme qui lui aurait sauvé la vie, habitant et surveillant les hautes falaises du littoral, connues par les âmes en peine.

     
    Le cœur régulier est un film particulier. Il n'est pas un spécimen dans sa technique, ni dans son genre, mais plutôt dans le choix d’une maîtrise émotionnelle ascendante qui nous dépasse. Le long-métrage se traverse entre mutisme et esthétisme, silence et méditation, repos de l'esprit et découvertes.

    Le_Coeur_regulier.jpg

    Nous suivons pas à pas le deuil d'Alice et sa reconstruction en tant que femme éteinte par la vie. La rencontre avec ce vieil homme, aux allures de sage ébréché, donne à la vie d'Alice de nouvelles couleurs et de nouvelles envies. Nous nous échappons avec elle, nous prenons cette heure trente comme elle prend ces quelques jours, ou semaines, pour s'arrêter. Inspirer. Expirer. Réfléchir. Nous buvons les décors comme des cartes postales en mouvance et imprégnons chaque image dans un espace personnel de recueillement.
    La réalisatrice nous livre un flot pur d'émotions : un silence qui nous touche et une sincérité de l'âme qui colle à la peau d'Isabelle Carré. 
     
    Le cœur régulier, mars 2016