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  • La Maison près du Lac de Yael Rasooly

    "L'histoire se passe en Europe Centrale,  il n'y a pas si longtemps" le récit débute, oscillant entre chants de cabaret et conte pour enfant, par la moyenne des trois sœurs qu'abrite cette maison. Trois soeurs aux caractères bien trempés à qui on a enseigné les bonnes manières et les leçons pour devenir des demoiselles bien éduquées. Mais leur innocence est voilée par l'attente du retour d'une mère disparue depuis bien trop longtemps. Sans prévenir. Sans leur avoir laissé de quoi manger.

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    Les journées défilent et les sœurs se plient à une mécanique quotidienne de leçons de grammaire, de danse classique, de musique et de langues. La vie se passe, la poésie accompagne leur routine. Petit à petit, leurs doigts se mêlent aux touches du piano, ce ne sont plus leurs poupées qui font l'intermédiaire avec les objets mais leurs propres membres qui glissent dans le stoïcisme : elles deviennent les objets de leur maison, qui n'ont plus de cœurs pour penser ou de cerveau pour sentir leur creux au ventre. Le temps du jeu est révolu, la tête de leurs poupées est arrachée et leurs corps soudés à ceux des fillettes créant un décors mirifique et terrible. Elles sont désormais ces poupées avec lesquelles elles s'amusaient lorsqu'elles formaient une famille heureuse et complète. 

    L'hiver vient assombrir ce fragile univers, portant dans son épais manteau l'effroyable vérité : leur mère ne reviendra plus. Yael Rasooly dévoile artistiquement l’horreur de la rafle et les faits véridiques d'enfants laissés pour compte ou forcés à se cacher dans de lugubres endroits durant des mois. Elle dépeint trois jeunes filles, probablement de 6, 8 et 10 ans, dont la force mentale surpasse leurs maigres années. Imaginant, pour ne pas perdre espoir, qu'un prince viendra les sauver, s'amusant d'un rien et se délectant de repas faits de restes émiettés. Leur candeur s'envole dans une métaphore d'ange voilé de blanc qui les enlace. L'enfance meurt avant que leur corps ne les lâche.

    Et une nuit, enfin, quelqu'un frappe à la porte. Est-ce leur mère ? Ces hommes vêtus d'uniformes militaires ? Ou bien la mort, venue les délivrer ?

     

    La Maison près du Lac, mi-novembre 2014 au TNG

  • Interstellar, Christopher Nolan

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    Après tous ces discours sur le développement durable et les malheurs que nous affligeons à la Terre, nous voici propulsés dans un monde qui a trop longtemps subit les actes néfastes de l'Homme et son oisiveté. L'air vient à manquer, la terre ne produit plus, seul un vent de poussière règne dans l’atmosphère lourde et réaliste de cet Amérique aux abords de la décomposition. Dans ce décors, nous suivons la vie de famille de Cooper, ancien ingénieur, et de ses deux enfants et particulièrement de son lien fort avec sa fille Murph. La vie était supportable, mais d'étranges événements se produisent dans la chambre de la fillette : des livres tombent sans que les murs ne tremblent, la poussière forme sur le sol des tracés nets. Murph se familiarise avec ce phénomène et le baptise "fantôme". Seulement Cooper trouve en ces traits un code secret, menant vers un repère caché de tout regard. Accompagné de sa fille, dont la présence tient davantage à une fourberie qu'à un réel choix, ils démasquent le projet de la NASA : la vie sur Terre touche à sa fin, il faut profiter du trou de ver qui s'est formé il y a quelques décennies pour partir à la recherche d'une nouvelle planète habitable pour l'Homme.

    Nous sommes immiscés dans la routine pesante de ces personnes qui ont décidé de tout quitter pour tenter de sauver leur famille, leur femme, ou de rejoindre leur compagnon parti il y a de cela dix ans. Cette cause nous semble réelle tant le décors et les dialogues sont admirablement construits. Le cinéma obtient majestueusement son nom de "septième art" par une histoire et une réalisation qui relèvent du chef-d'oeuvre. Nolan manie la science fiction avec des doigts d'artistes, en nous faisant tantôt vibrer devant des scènes au suspense quasi insoutenable, tantôt en nous bouleversant par l'amour d'un père qui surpasse l'écran. En effet, l'amour semble être la seule raison qui les pousse à vivre dans de telles conditions. Des douze explorateurs, l'un d'eux a été rattrapé par la folie au détriment de nos explorateurs. Sans espoir de revoir un jour un semblable et sans amour pour nous protéger de la solitude de cet infini, la condition de l'homme est entachée et assouvir ses intérêts personnels devient l'unique ligne de conduite. 

    Mais au delà de cette métaphysique, nous sommes happés par la transformation des personnages de cette fantasque odyssée : certains s’humanisent tandis que d'autres laissent éclater le terrible mensonge qui les maintenaient durant de nombreuses années. Cette mission va-t-elle vers un but réalisable ou relève-t-elle du désir de satisfaire l'espoir général ? Cooper, incarné par le formidable Matthew McConaugey, apparaît comme le conciliateur entre la soif de mettre un terme avec cette mission rudement menée et de trouver une planète vivable et l'envie de revoir ceux qui l'attende sur terre et qu'il ne peut voir grandir. Ce personnage auquel on ne peut que s'attacher reste digne et fort, même lorsque tout semble perdu. 

    Le décors ingénieux devient presque secondaire dès la seconde moitié du film, où le pathos prend une place grandissante. L'Homme est-il condamné ? Peut-on rester subjectif lorsque nous avons le choix entre sauver l'humanité et revoir sa famille ? Dans cet espace temps relatif, de nombreux destins s'entrechoquent, jusqu'à une découverte frappante. Nos actions ont-elles la capacité de changer le temps ? Nous ressortons de ces trois heures intenses en ayant une claque visuelle et scénaristique. En deux mots : courez-y.

  • Magic in the Moonlight, Woody Allen

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    C'est l'histoire d'un homme qui rencontre une femme. Non, c'est l'histoire d'un personnage suffisant persuadé qu'il n'y aucune forme de vie parallèle à la condition humaine et d'une charmante medium qui va tenter de lui donner un regard différent sur ce qu'il touche, sur ce qu'il voit, sur ce qu'il ressent. 

    Nous plongeons dans un univers cinématographique proche du milieu du siècle dernier pour suivre l'étrange affaire de Stanley Crawford, magicien de renom lorsqu'il est sur scène, qui en dehors des paillettes réfute toute sorte de magie. Celui-ci se rend, accompagné de son acolyte Howard Burkan, dans le sud de la France pour tenter de démasquer une jeune medium du nom de Sophie Baker à la beauté intrigante qui s'est liée avec les Catledge, famille de haut rang. Il y rejoint également sa tante, pour qui il porte une tendre admiration. Cependant, malgré les jours à cotoyer la voyante et à assister à ses rencontres avec l'autre monde, il n'arrive pas à déceler le truc, la supercherie que lui utilise dans ses spectacles. Comment cela est-il possible ? Existerait-il vraiment un "au delà" ? Le personnage de Stanley se déride au fil du film, il prend connaissance, au contact de la jeune fille, de la beauté qui l'entoure, du ciel étoilé dans l'observatoire de son enfance au parfum des roses rouges du jardin des Catledge qu'il avait pourtant traversé à maintes reprises. On pourrait penser que l'histoire va s'engourdir dans une suite mielleuse, mais l'écriture, la maitrise irréprochable de l'humour dans des dialogues et des situations absurdes et le cynisme qui rend le personnage de Stanley Crawford si attachant donnent du relief à l'histoire. Même si mademoiselle Baker possède de nombreuses cordes à son arc, elle se confronte à son plus grand étonnement à un homme qui ne se laisse pas si aisément berner, le dotant d'un charme qu'elle ne sait expliquer. Le cadrage, les tenues, les musiques apportent une ambiance particulière au film, que nous retrouvons par exemple dans Minuit à Paris sortit en 2011 qui plongeait Owen Wilson dans un Paris des années folles. 

    Puis, nous découvrons une sensibilité touchante chez Sophie Baker, jeune fille issue d'un milieu pauvre dont la mère souhaite créer une fondation. Elle n'a que sa jeunesse et ses grands yeux bleus pour s'en sortir. Duper des personnes qui n'ont plus que l'espoir est alors un stratagème imparable, car la persuasion dompte la bonne conscience. Mais cela ne la laisse pas de marbre, particulièrement depuis que Stanley Crawford entre dans le jeu.

    La magie est donc pour Woody Allen une inclinaison vers un optimisme à toute épreuve. Si nous savons que nous ne sommes condamnés, nous pouvons vivre tranquillement et profiter de l'infinité de choses à découvrir. Woody Allen, comme dans beaucoup de ses oeuvre, y retranscrit sa peur intime de la mort. Ses personnages rendent parfaitement compte que croire ou ne pas croire en Dieu, aux esprits, au paradis ou à la résurrection n'est pas le plus important. Croire en quelque chose qui est faux de nous rend pas stupide mais donne du sens à ce que l'on est. La magie, qu'elle soit réelle ou artificielle, apparaît comme le moyen de supporter davantage son existence et même mieux : d'en cultiver l'importance.

     

    Magic in the Moonlight, novembre 2014