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Infrastructures

  • The Walk Rêver Plus Haut de Robert Zemeckis

    Funambuliste : acrobate équilibriste exécutant des exercices sur un câble tendu à grande hauteur.

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    Comme le spectacle à taille humaine ne lui suffisait plus, c'est entre les tours jumelles de New York que Philippe Petit, funambuliste impétueux, osa tendre son fil il y a quarante ans.

    Le réalisateur Robert Zemeckis semble s'asseoir sur ses exploits passés en réalisant un film visuel, au péril de l'écriture. 
    L'impression amère d'une retranscription fade et abusée de l'exploit de ce voltigeur se mute en fin de parcours en indifférence, séquencée par quelques soupirs ou écarquillements. Le long métrage aurait pu explorer davantage les lois de l’apesanteur, nous couper le souffle à chaque pas sur ce fil qui frôle la mort. Mieux, amplifier les sentiments des personnages, du désir insensé muté en obsession de Philippe Petit, à la contemplation muette puis envieuse de sa compagne Annie. Explorer, sonder, exposer finalement ses personnages de matière frontale, et ne survoler que le paysage. Robert Zemeckis fait le contraire. Peut-on parler de biopic lorsque le cadre dans lequel évolue le héros marche sur les plates-bandes de sa propre histoire ? 

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    La motivation et le talent ne réussissent pas à faire briller ces têtes d'affiches, qui, en bons professionnels, se contentent du minimum imposé. L'immersion se s'amorce tout de même grâce au talent sensible des acteurs, notamment des seconds rôles, qui s'efforcent à ne pas donner l'envie aux spectateurs de sauter dans le vide.  Nous sentons l'envie d'en dire plus, et ce ne sont pourtant pas les minutes et les moyens qui manquent au réalisateur. 
     Les décors, travaillés dans un Paris des années 70, où la restitution des petits quartiers est aussi nette que celle des immenses tours jumelles métallisées de New York, marquent les points positifs de The Walk. Même si nous avons parfois le sentiment d'y prendre racine pour qu'on nous laisse le temps d'observer chaque détail.
     
    Une aventure hors du commun mais un long métrage qui s'apparenterait presque à une fiche informative, déroulée sur deux heures. Décevant et frustrant.
  • A l'aveugle #2

    La cage thoracique 

    J'ai 14 quatorze ans. Je vis près d'une gare, dans une maison que mon père a achetée pour une modique somme, probablement à cause du lieu, de ces usines désertées, taguées par de jeunes noctambules, plus ou moins engagés, plus ou moins doués. Probablement à cause du bruit, aussi. Les trains passent toutes les 3 minutes 37 en journée ; c'est le plus long silence entre deux itinéraires. Puis la nuit tombée, le vide. Rien, aucun bruit. Pendant trois, quatre, sept heures. Je déteste ça. Le bruit des trains est devenu une douce mélodie qui sifflote à mes tympans, éveille mes envies. Paris, Montpellier, Aix, Lille, dans le sud bling bling, dans le nord chaleureux, dans le centre verdoyant. Toutes les 3 minutes 37, c'est un rêve qui éclot et meurt en autant de temps qu'il en faut pour s'imaginer une destination. Je ne fuis pas ma réalité, je l'embellis. Parce que si je reste devant la triste beauté que papa a pu s'offrir en travaillant durant vingt années, je pense que je m'éclaterais sur les rails des trains pour mourir avec mes rêves. 

    Et puis plus loin, il y a cette cage. Je ne sais pas vraiment à quoi elle sert, je n'y ai jamais vu de gens dessus. J'ai entendu dire qu'il y a quelques années un jeune homme y était monté, excité par l'alcool et les applaudissement des autres restés en bas, et que pour un pari il s'était mis à grimper, grimper, si haut que sa vision déjà floue avait dû inventer une barre là où il n'y en avait pas. Fin des rires. Fin du pari. Fin des rêves. 

    Mais je ne regarde pas cette cage comme la scène qui autrefois arracha un enfant à ses parents ou un ami à une bande probablement éparpillée aujourd'hui. Je ne la regarde pas non plus comme une horreur abstraite qui gâche la vue. Non, pour moi elle est le centre de tout. Elle est là alors qu'on ne s'y attendait pas, entre les chefs d’œuvres urbains des artistes de l'ombre, entre ces usines vides et les rails de mon imaginaire. Elle surplombe la ville, on doit y être bien là haut. A regarder les nuages, à s'aérer les poumons, du moins s'en donner l'impression, à lever le pied du goudron, sentir le vent cogner nos joues. Et pouvoir suivre mes trains plus longtemps. Que se prolongent mes rêves pour se perfectionner chaque seconde de plus avant qu'ils ne disparaissent, encore. Cette cage ressemble à un poumon, une cage thoracique. La cage thoracique de nos villes utopiques. Et je me plais à penser qu'il n'y a que moi qui puisse la voir, comme une anthropologue : je pense ma ville de l'intérieur, devine ses désirs, ses aspirations, anticipe son devenir. J'ai quatorze ans et la semaine prochaine je partirai pour la première fois en colonie de vacances. J'y échangerai probablement mon premier baiser et mon premier chagrin d'amour, car les plus belles histoires sont celles que l'on vit sans lendemain. Je l'ai lu dans un des bouquins à l'eau de rose de mon père, qui cache sa sensibilité dans un bleu de travail viril et dans du rouge bon marché. Attention, il n'est pas alcoolique, mon père, il s'adonne juste à sa lecture du soir avec tantôt une cigarette roulée Fleur du Pays, tantôt un verre de vin. Il lit des heures mais ne prend qu'un seul verre. Et comme nous ne sommes pas riches, il choisit sa bouteille légèrement au-dessus des premiers prix. Suffisamment pour se dire qu'il l'a sélectionnée. Ses romans à l'eau de rose m'ont aussi appris que même si une histoire n'est pas longue, elle peut être intense. Même pour une fille de quatorze ans. Alors je regarde cette cage, et me dit qu'elle pourra y recueillir toutes les larmes de mon jeune corps, les désolations qu'elles accompagneront, en voyant s'envoler mon train vers la ville de celui que je ne reverrai plus. Parfois, je sors de chez moi pour m'approcher davantage de ce qui fait mon jardin, mon espace à moi. Je la regarde, les avant-bras contre la barrière, si grande, si majestueuse, plantée comme une fleur de métal. Sauvage comme une mauvaise herbe triomphante. Un photographe pourrait même s'y arrêter pour la capturer dans son appareil, emporter avec lui ce que je vois tous les jours. Je pourrais la partager avec lui, ça ne me dérange pas. Il l'aurait mérité car il aurait perçu la grâce sombre et métallique de ma cage. Et je l'affectionne d'autant plus car j'en suis en dehors. Ma vue c'est mon espoir. Ces tags qui colorent le béton. Ces arbres qui irriguent mes poumons. Ces trains qui alimentent mes envies. Cette cage qui m'aspire à plus grand. 

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    Photographie : ph.nauher

    Texte : Clara Passeron