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Clara Passeron - Page 2

  • L'horreur et les gens du pays

    Alors c'est quoi, le sentiment patriotique ? Une notification facebook qui nous propose de redorer notre photo de profil à l'image du drapeau français ? Suivre machinalement le mouvement amorcé, dans un esprit de solidarité hypocrite et creux ? Se révolter par bonne conscience ?
    Quand, en 365 jours, nous disons-nous que nous sommes un peuple uni et fier ? N'y a-t-il de réelle solidarité que dans les moments d'horreurs, comme celui-ci ? Comme pour Charlie ? Après le mouvement de rassemblement "Je suis..." dont j'ai prit naïvement part, j'ai l'amère sensation de me retrouver piégée à devoir de nouveau agir de la sorte, onze mois plus tard. On nous prémâche des belles paroles, on tire la ficelle de notre poing pour qu'il se brandisse, fébrile, vers la révolte. Contre ces actes. Contre la peur. Contre la menace. Mais derrière tout ça, lorsque l'on gratte la carapace en papier de ces discours francos-français, par nous et pour nous, de cette bulle égocentrique que l'on créé en pensant bien faire, l'engagement s'écroule dans un bruit glauque d'imposture. Nous nous révoltons de la mort que lorsqu'elle nous est présentée comme un spectacle, un fait que l'on entendra dans toutes les bouches ces prochains jours. Comme pour cet enfant immigré. Il y a de quoi se révolter chaque jour. A chaque moment. Et bien au delà de notre pays, de notre savoir. A agir de la sorte, nous devenons les pantins d'un Média voyeuriste et charognard.

    Evidemment qu'il faut en parler, évidemment qu'il faut agir. Mais sachons trouver les bons outils pour se faire entendre et non choisir la facilité d'une opinion monocorde.
    Alors c'est quoi, le sentiment patriotique ? Etre acteur ou avoir vu ? Etre au cœur d'un débat ou avoir entendu que ? Pour rendre hommage aux victimes soyons libres de le faire. Et ne pas se taire une minute pour continuer machinalement ce que nous étions en train de faire avant. De ne pas s'improviser engagé pour délaisser l'urne quelques semaines après.
    A tous les proches des victimes.

  • The Walk Rêver Plus Haut de Robert Zemeckis

    Funambuliste : acrobate équilibriste exécutant des exercices sur un câble tendu à grande hauteur.

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    Comme le spectacle à taille humaine ne lui suffisait plus, c'est entre les tours jumelles de New York que Philippe Petit, funambuliste impétueux, osa tendre son fil il y a quarante ans.

    Le réalisateur Robert Zemeckis semble s'asseoir sur ses exploits passés en réalisant un film visuel, au péril de l'écriture. 
    L'impression amère d'une retranscription fade et abusée de l'exploit de ce voltigeur se mute en fin de parcours en indifférence, séquencée par quelques soupirs ou écarquillements. Le long métrage aurait pu explorer davantage les lois de l’apesanteur, nous couper le souffle à chaque pas sur ce fil qui frôle la mort. Mieux, amplifier les sentiments des personnages, du désir insensé muté en obsession de Philippe Petit, à la contemplation muette puis envieuse de sa compagne Annie. Explorer, sonder, exposer finalement ses personnages de matière frontale, et ne survoler que le paysage. Robert Zemeckis fait le contraire. Peut-on parler de biopic lorsque le cadre dans lequel évolue le héros marche sur les plates-bandes de sa propre histoire ? 

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    La motivation et le talent ne réussissent pas à faire briller ces têtes d'affiches, qui, en bons professionnels, se contentent du minimum imposé. L'immersion se s'amorce tout de même grâce au talent sensible des acteurs, notamment des seconds rôles, qui s'efforcent à ne pas donner l'envie aux spectateurs de sauter dans le vide.  Nous sentons l'envie d'en dire plus, et ce ne sont pourtant pas les minutes et les moyens qui manquent au réalisateur. 
     Les décors, travaillés dans un Paris des années 70, où la restitution des petits quartiers est aussi nette que celle des immenses tours jumelles métallisées de New York, marquent les points positifs de The Walk. Même si nous avons parfois le sentiment d'y prendre racine pour qu'on nous laisse le temps d'observer chaque détail.
     
    Une aventure hors du commun mais un long métrage qui s'apparenterait presque à une fiche informative, déroulée sur deux heures. Décevant et frustrant.
  • Speak! au théâtre Les Ateliers

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    Aimons-nous un discours pour ce qu'il représente ou pour ce que nous inspire l'homme qui le clame ? Nous donne-t-il envie de croire en ce qu'il avance, ou nous incite-t-il à idéaliser un monde que l'on voudrait changé ? 

    L'art de la rhétorique est un pléonasme, car qui dit rhétorique dit "maîtrise de la parole", et choisir les bons mots dans les bonnes circonstances est un art complexe et limité. 

    Speak! pose un nouveau décors, minimaliste mais suffisant, sur ces discours politiques qui changèrent l'Histoire, dans ses heures de gloire comme dans ses ignominies. Une femme et un homme vont tour à tour chercher à nous convaincre, à nous persuader, affinant ainsi la limite entre l'affectif, le savoir, les croyances, les a priori. A chaque thème choisit, le public est invité à voter pour la femme ou pour l'homme, sur un discours repris mots à mots.

    Et si, même avec notre recul, notre culture, nous venions à voter pour Margaret Thatcher, Saddam Hussein ou Adolf Hitler ? Comment réagirions-nous si nous nous retrouvions à cautionner sans le vouloir le discours d'un tyran ? 

    Au delà de l'expérience et de la performance oratoire des deux comédiens, Speak! glisse, peut-être volontairement, dans les travers des clichés dont les médias nous abreuvent déjà : le politicien est un beau parleur, a le geste, le sourire pour corrompre et assujettir, même dans la plus saine des démocraties, un peuple qui en demandera toujours plus tant que la vérité n'y est pas. Tant que l'espoir est là.

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    Que la pièce serve de morale, je n'en suis pas convaincue. Mais elle aurait éventuellement pu sortir des schémas manichéens du manitou grandiloquent et de la femme terrible et indomptée, presque par soucis d'équité. On interagit avec eux par le biais du vote, mais cela reste au final très linéaire : la femme parle, l'homme parle, le vote, les résultats, les mimiques de satisfaction du gagnant, et round suivant. Et si un second message s'était drapé de facilité ? Sanja Mitrovic, metteur en scène, aurait-elle consciemment adopté les mêmes rituels de la politique, misogyne, accusatrice, rendue simplette pour conforté le grand public qu'il peut s'y retrouver dans un domaine qui exige de grandes connaissances ? Les discours évoluent mais l'idée qui semblait novatrice creuse le sillon de l'ennui au fur et à mesure des scénettes. Qui s'enchaînent. Huit fois. 

    Speak! maîtrise son sujet, mise sur des comédiens charismatiques, mais reste encore trop pudique sur ce qu'il veut amener. La femme et l'homme ne communiquent finalement aucune chaleur, se parant uniquement des personnalités et des mots extérieurs à eux. Un sentiment d'attente qui mute en déception une fois la pièce terminée.

    A voir pour la prose, sur-titrée car les discours sont en anglais, étudiée et pensée par des hommes de lettres avant d'arriver aux bouches des sauveurs ou des bourreaux. 

     

    Speak! Octobre 2015