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Ricardo Darín

  • Appels entrants illimités au TNG

    Dans une perpétuelle dérision et absurdité se dessine dans les entrailles d'Appels entrants illimités des éclats de noirceurs sur notre condition d'homme. Nous rencontrons trois colocataires, perturbés, aiguisés, presque trop différents pour être réellement ensemble. Un grand, filiforme, qui se pose des questions sur l'humanité, les OGM, qui ne sait jamais quoi répondre lorsque la sonnerie du téléphone retentit et qui parjure la télévision. Un petite, un peu ronde, qui camoufle son hypersensibilité par des déguisements d'homard, de poule ou de jeune fille sûre d'elle. Et une dernière, le dernier lit de Boucle d'Or, banale dans son physique, quoique jolie et un vaniteuse, et irrémédiablement et dépressivement timbrée. Une horreur les rapproche : le monde extérieur, symbolisé sur scène par un tunnel morbide en papier blanc, qu'ils pénètrent toujours en cas d’extrême nécessité. On préférera même vaporiser les poubelles de sent bon plutôt que de les sortir et se confronter à leurs jugements, leurs étiquettes, leurs vies parfaites et bien rangées.

     

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    La pièce s'interrompt frénétiquement par des appels, ou plutôt des courtes phrases assemblées sans logique apparente, qui résument les informations quotidiennes qui nous sont projetés, les faits divers, la guerre, la corruption, le drameNous vivons dans un drame, et leur drame à eux est de trop le savoir. Louis, Anna et Charlotte nous racontent ainsi, avec leurs accents québécois si chaleureux, des petites histoires qui leur sont arrivés. On pense alors à de simples anecdotes, pour discuter, meubler leur refuge, mais nous y décelons des appels au secours. Les gens qu'ils rencontrent, les situations qu'ils vivent, nous cognent à notre conformité. Pourquoi faut-il savoir bien chanter pour monter sur la scène d'un karaoké ? Pourquoi se plier à un cadre qui ne nous est pas pas ajusté ? Pourquoi ne pas pouvoir penser et crier à la société que nous nous aimons, tels que nous sommes ? Ces spécimens voudraient l'amour mais ne reçoivent que des paillettes, du matériel sans âme et sans fond. Appels entrants illimités, c'est un peu résumer la folie et l’enchaînement incontrôlable des jours, des rencontres, des histoires, de notre vie.

    Par delà l'imagination débordante à en époumoner le spectateur qui tente de les suivre, nous en tirons notre propre aperçu de la pièce. Nous choisissons d'en saisir un certain sens, de prendre les bribes de ces dialogues, de choisir de les écouter ou de les comprendre, de se rappeler pourquoi nous sommes venus voir cette pièce, ou pourquoi nous sommes vivants.

    Un véritable chef d'oeuvre.

     

    Appels entrants illimités, mai 2015 au TNG

  • Les nouveaux sauvages, de Damian Szifron

    les-nouveaux-sauvages-resize.jpg        Un enchaînement de situations loufoques causées par un débordement psychologique : Les nouveaux sauvages capturent dans l’absurdité la plus totale le pas franchi entre la civilité et le pétage de plombs. Une succession d’histoires pathétiquement drôles nous tient en haleine et nous surprend par l’art de nous faire pénétrer dans ces esprits torturés par la pression, la colère, l’angoisse, la famille, la vie. Jusqu’où sommes-nous capable d’aller quand on pense ne plus rien devoir à personne ? La trame emporte avec sa folie démesurée une séduction coriace.

    Chaque personnage semble emprisonné dans un circuit fermé qui ne peut le mener qu’à leur destruction. Leur état tellement second devient pour certains une délivrance, qui les plonge dans un état de grâce par une satisfaction vicieuse : cogner, insulter, commettre l’irréparable deviennent les uniques réponses de leur cercle infernal. Ajoutez à cela des répliques cinglantes, et vous obtenez un cocktail énergique qui nous prend aux tripes. Les nouveaux sauvages ont l’art et la manière de nous faire passer un message paradoxal : être civilisé est un moyen de ne pas se laisser emporter par des comportements ou des situations pas toujours protocolaires. C’est bien de cela qu’il s’agit : les personnages de Damian Szifron refusent l’étiquetage, du bon citoyen qui paye, de la mariée qui accuse le coup face aux déviances passées de celui qui va être son époux. Ces situations improbables dévoilent subtilement les tares de notre époque, par toutes ces personnes surmenées, assignées au terme généraliste «dépression » qui évite de se pencher sur le problème. Les nouveaux sauvages sont la revanche saignante de ces citoyens laissés pour compte.

    Le réalisateur ne tombe jamais dans la caricature tant les actes sont irréfléchis et parfois en dehors de toute logique et expectations. Ce tourbillon de tranches de vies nous donnerait presque envie de relativiser nos petits problèmes du quotidien.

     

    Les nouveaux sauvages, janvier 2015