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Réalisateur

  • Rencontre avec Stephane De Groodt pour Paris-Willouby

     

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    Chroniqueur, écrivain et humoriste, nous en aurions presque oublié la casquette froissée par les années du comédien Stéphane De Groodt. D'un caractère aventureux et affranchi, son premier film, Paris-Willouby, souligne la multiplicité de ses facettes dans un jeu sensible d'un père de famille un brin indolent mais terriblement touchant. Une équipe de journaliste et moi-même l'avons rencontré à l'Hotel Sofitel, quelques heures avant l'avant-première grand public. 

     

    Comment êtes-vous arrivé à vous approprier les écrits de quelqu'un d'autre ?


    Au début, parce que ça fait maintenant quinze ans que je fais ce métier, j'avais un peu de mal à lâcher l'affaire, j'avais besoin de jouer des rôles qui me ressemblaient absolument, de me raccrocher à ça. Il ne fallait pas me mettre de perruque qui puisse me sortir de ma carapace.
    Aujourd'hui c'est tout le contraire, j'ai envie qu'on me rajoute une perruque, qu'on me rajoute un faux nez, enfin ça ça va j'en ai déjà un ! Le personnage du père dans Paris-Willouby est complexe dans sa manière d'aborder les choses, il pourrait crier mais il est remplit de doutes. Il y avait vraiment beaucoup de choses à faire avec ce personnage. Ce projet qui m'a d'emblée excité car il ouvrait des possibilités d'interconnections entre les personnages, des liens qu'ils ont créé. 
     
    Pourquoi avoir attendu autant pour un rôle au cinéma ?
     
    Pour avoir un premier rôle au cinéma il faut être dans un système : sortir d'une école, avoir un réseau, être bon. On dit souvent que le talent c'est d'avoir envie de faire des choses, le reste c'est du travail. Il faut se donner le temps de travailler. La construction d'une carrière ou d'un statut est très longue. Ou bien ça peut être une rencontre, un imprévu comme Marceau qui vient avec sa copine et c'est elle qui a le rôle.
    Je retiens la phrase d'un producteur qui disait : "Il faut dix ans pour que ça arrive du jour au lendemain". Et c'est un peu mon aventure : on grandit, on apprend, on se gorge d'expériences et petit à petit des événements font qu'on vous repère, que vous êtes connu, ce qui rassure les producteurs et les équipes de film. Aujourd'hui des projets se montent, on a envie d'embarquer des inconnus dans l'histoire parce que ça nous est arrivé. J'ai vécu des refus de type : "Non mais  De Groodt il est pas connu, on va pas le prendre" et j'étais là sur le trottoir comme un con. Il faut provoquer la chance, pour moi c'était l'aventure Canal où les gens se sont rappelés que j'étais avant tout comédien.
     
    Comment ça s'est passé pour vous, sur le plateau, lorsqu'il vous arrivait de ne pas être en phase avec votre personnage ou avec ses dialogues ?
     
    Les réalisateurs ont une intention, et au comédien de le dire avec ses mots, parfois encore mieux qu'eux-même ne l'auraient imaginé. L'idée c'était de comprendre que lorsque j'émettais des réserves, ce n'était pas pour moi, mais pour nous. Je ne disais pas les mots pour moi mais pour nous. Ça fait un peu tarte de dire ça mais un film c'est un peu comme un "bien commun". Pour prendre un exemple culinaire, eux choisissent de préparer une blanquette, et nous nous recevons tous les ingrédients. On se jauge, on estime les choses, on propose des regards différents, on se dit : "Tiens là il faudrait un peu plus de ceci" et c'est comme ça que le film évolue.
    C'est un art qui n'est pas gravé dans le marbre, il est essentiel qu'il y ait une marge de tolérance d'un côté comme de l'autre.
     
    Les tensions dans un tournage sont donc inévitables ?
     
    Nous avons eu une discussion dès la première scène, car nous les comédiens sommes assez poreux, on s'imprègne des sentiments, des intentions, de l'histoire, des regards, de notre partenaire de jeu. Le moindre détail compte et ce qui est important est d'être rassuré en le jouant à notre manière, d'avoir notre petite cuisine. J'ai eu tout de suite beaucoup d'indications, de précisions. C'était très important pour les réalisateurs de concrétiser ces années d'écritures en lançant leur tout premier "action". Mais je me suis sentit cadenassé. Alors je leur ai dit très simplement : "Les gars, il faut que vous puissiez nous laisser pondre notre oeuf et qu'après, dans un deuxième temps, de tenter de faire ce que vous souhaitez selon votre projet artistique". Ce qu'ils ont considéré et c'est aussi ce qui a participé à la bonne ambiance entre l'équipe.

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    Les réalisateurs Quentin Reynaud et Arthur Delaire, et le comédien Stéphane De Groodt 
     
     
    Un film écrit, réalisé par vous, c'est un projet qui se profile ?
     
    Oui certainement, mais à moi de trouver le temps, de m’asseoir, d'être dans ma bulle pour me concentrer la dessus. Si je suis interrompue une semaine, trois semaines, un mois, c'est un peu compliqué pour moi. J'ai besoin d'être dans un tunnel. Je devais le faire au printemps dernier mais j'ai commencé à écrire mon bouquin, puis je devais m'y remettre et je suis parti pour Canal trois mois. Prochainement, je vais tourner à Gaza pour Kaboul.
    J'ai toujours eu besoin de "pondre mon oeuf", c'est la notion d'expression intime. Nous, les hommes, on ne tombe pas enceints et l'écriture c'est pour moi une façon de pondre quelque chose, de donner vie. Pas par la poule, hein, mais l'image de façonner quelque chose, de créer ce qui n'a jamais été fait auparavant. Aménager un lieu où les regards vont atterrir avec un prisme différent. Je suis sur deux pistes que je ne sais pas vraiment comment aborder.
    Maintenant il faut que je me mette d'accord avec moi-même et si j'avais un producteur qui me dirait "Qu'est ce qu'on fait ?", les choses évolueraient peut-être différemment. 
     
    Avez-vous peur que pour votre premier rôle, le succès ne soit pas à la hauteur de vos espérances ?
     
    Je ne pense pas que je le prendrai personnellement. On parle des acteurs, des scénaristes, des producteurs... Mais il faut aussi saluer les distributeurs, avec qui une relation de confiance s'installe dès le début. Je suis heureux de voir que Paris-Willouby a une super promotion, pour une ambition qui n'est pas celle de Star Wars. C'est une chance folle de pouvoir s’asseoir autour d'une table, discuter avec les journalistes, avec vous, et de parler pendant une heure de ce film.
    Après c'est le jeu. Si le film ne marche pas, nous nous serions appliqué du mieux que nous le pouvions, les risques auront été les mêmes. C'est comme une critique de film, si elle est nourrit, sincère, même violente, du moment où il y a une honnêteté de la part de l'auteur qui prend le temps de nuancer ses propos, j'accepterai. C'est aussi comme ça que l'équipe toute entière avance. 
     
    Propos recueillis à Lyon, le vendredi 15 janvier 2016
  • Martin Scorsese, une figure humble du cinéma

    Nous connaissons Martin Scorsese pour ses films débordant d'audace, pour sa plume qui signe les répliques cultes comme "You fuck my wife" de Raging Bull ou le "You talking to me ?" de Taxi Driver. Des décors surréalistes au minimalisme familial, Martin Scorsese a toujours pensé le cinéma comme une fenêtre sur le monde. Cet art fut pour lui, jeune garçon asthmatique cloîtré sinon que dans sa chambre dans les murs d'une projection, le moyen de faire le lien avec les autres arts qu'il ne connaissait pas, comme la musique, la danse, la littérature. Il y a pour lui quelque chose d'excitant dans le cinéma, qui dépasse l'esthétisme. Il lui permet de découvrir comment monter, écrire et tourner, puis au fur et à mesure de s'ouvrir à des personnes, des cultures, de s'enrichir des savoir-faire et savoir-être des gens qu'il côtoie. 

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    Scorsese va alors fréquenter les plus grands, entrer dans ce milieu show-biz, illustré dans New York New York. Il s'alimente de ces repas guindés comme de son envie d'en faire toujours plus, d'explorer d'autres thèmes, de construire sur du désert. Mais cela ne va pas s'avérer toujours payant.

    Il traverse une période de doute de cinq ans dans les années 80, suite à Raging Bull. "Tu sais, tu n'es plus drôlelui dira un soir le peintre Andy Warhol, au détour d'une soirée qui se termine dans une voiture commune. Il s'aperçoit alors qu'il partage les mêmes dîners que certaines figures populaires de l'époque, mais que leurs mondes sont totalement opposés.

    Un regain d'intérêt va lui remettre le pied à l'étrier. Travailler avec Martin Scorsese suscite les convoitises. Spectateurs comme collaborateurs veulent voir "du Scorsese", garder cette trace déjà présente dans les esprits pour continuer à grandir le cinéma. 

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    "Quand je veux créer, l'imagination devient le moteur de ma création" ajoute cet ancien gamin sans grande fortune, qui dessinait des histoires à partir de bandes dessinées des dernières pages du journal. Il s'est tout jeune demander comment créer de l'animation à partir d'images fixes, et a commencé à étudier autour de cet art qui lui était accessible. Il a appris des techniques, le vocabulaire du récit, dans une Little Italy à New York où l'enthousiasme était palpable. Il y avait une réelle unité de cinéphiles, qui lui ont conforté à l'idée qu'il "pourrait faire des films", même avec des petites caméras.

    On se demande alors de quoi Martin Scorsese tire sa différence. Lui-même ne le sait pas vraiment. Dès qu'une idée, un thème, lui traversait l'esprit, il en découlait un film toujours à part des oeuvres déjà existantes. Ses films sont indépendants du système hollywoodien alors qu'il réussit et se plaît à filmer les mêmes sujets. Certaines revues spécialisées se sont gardés de cette popularité quasi unanime en l'étiquetant de "sale gosse du cinéma" dans ses jeunes années, avançant qu'il a appris et non vécu le cinéma. Or Scorsese porte un regard droit sur ces qualificatifs peu flatteurs en se donnant une légitimité : "nous n'avons pas besoin de le vivre pour en parler". 

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    Ce qui élèvent les œuvres du cinéaste, c'est aussi sa manière de s'imprégner du monde qu'il met en scène, le faire renaître à travers son regard jusqu'à nos  propres yeux. Il simplifie notre rapport au monde, aux catégories sociales, et simplifie le quotidien de grands businessman, de mafieux, de sportifs de renom, de vedettes, pour les rendre finalement plus humain. Sa doctrine est de voir l'humour dans la noirceur, de montrer sans juger. 

    A 48 heures de la fin du festival Lumière, nous laissons repartir une personnalité forte et généreuse, à la tête pleine de nouveaux projets. Parmi eux, "Vinyl" série rock'n roll axée sur le sexe, la musique, la drogue et la violence co-réalisée avec Mick Jagger, qui sera diffusée en janvier 2016. Et encore plus prometteur, "The Irish man" avec Robert De Niro. Les recherches actuelles de financement devraient pouvoir s'écourter dès l'annonce officielle auprès des collaborateurs fidèles à l'art Scorsesien.

     

    Propos recueillis en Master Class Martin Scorsese - Théatre des Célestins - Octobre 2015