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Pour le dire - Page 29

  • Winter Sleep, Nuri Bilge Ceylan

    348460.jpgLe film nous frappe tout d'abord par la beauté de ses paysages, bruts, naturels, criants d'histoires. Et nous découvrons des personnages façonnés à leur image. Le scénario est remarquable par les différentes pistes d'interprétation qu'il nous laisse entrevoir : la religion, les relations amoureuses, le pouvoir de l'argent sur les personnes qui nous entoure et le déchirement de ces êtres, se frottant à dure réalité, longtemps édulcorée par des faux semblants. "Comment filmer le langage non-verbal ?" Nous semble être la trame principale de ce film. Le gérant de l’hôtel, Monsieur Aydin, dont on suit le quotidien, se rend chez un de ses locataires dont les loyers restent impayés depuis plusieurs mois suite à la difficulté pour le chef de famille de se reconstruire après un séjour carcéral. Le jardin de cette famille, ou plutôt ce terrain vague, est délabré, laissé pour compte. On devine alors que cet homme au passé sombre qui délaisse cette bâtisse s'écarte peu à peu des normes sociétales, des règles de vies d'un bon citoyen ou d'un bon musulman dont Monsieur Aydin fera l'éloge avec en ligne de mire cette famille marginale. Une dispute éclate dans un salon ? La subtile gravure "tonnerre" sur un plat posé face caméra sur la table basse et le bruissement du feu dans la cheminée nous indiquera que l'heure est aux règlements de comptes. Le relâchement d'un animal dans son élément naturel évoque la rupture des chaînes qui emprisonnaient le protagoniste, sa libération, une nouvelle perspective d'avenir. Nous éprouvons de la compassion pour chaque personnage, et réfléchissons en tant que potentiel acteur des débats dans lequels bataille Monsieur Aydin, aux mœurs conservatrices et aux arguments discutables mais toujours intéressants qui tendent parfois vers une réflexion philosophique. Nous serrons du point, ouvrons l’œil, échappons une larme ou une expiration colérique. Le réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan nous maintient éveillé. 

    Winter Sleep aborde entre autres le sujet de l'argent et à quel point celui-ci peut être néfaste même lorsque le cœur de l'homme qui en possède est bon. La possession de cette immense demeure perchée au dessus des montagnes de pierres enneigées assure à la famille du personnage principal une vie confortable, mais que vaut la chaleur quand on n'aspire plus à rien ? Quand on prend conscience d la différence entre l'être et l'avoir ? La bonté du don est alors complexifié. C'est là tout l'art de savoir donner et recevoir, comme lorsque nous souhaitons donner de la nourriture à un sans abris, va-t-on lui dire qu'on lui offre de quoi manger ou que l'on souhaite partager car nous n'arriverons pas à finir tout seul ? Pourquoi la personne qui reçoit ne pourrait pas être au final celle qui donne ? C'est-à dire celle qui permet au final au premier de se sentir apaisé moralement, comme satisfait d'avoir réalisé une bonne action. Qui donne à qui dans ces cas là ? Le conflit commence ici. La femme se noie dans un projet de solidarité tangent, tandis que la soeur trouve dans l'argent un refuge pour se guérir d'un divorce houleux. Nuri Bilge Ceylan dévoile le talent de ses acteurs qui, un à un, font tomber leur masque éclatant sur le sol en une fumée de non-dits, de frustration, de mal être qui s'évaporent dans toutes les pièces de cet immense hotel. Habitué à retranscrire les conflits de l'âme et les conditions sociales, il signe magistralement une nouvelle parlme d'or.  La beauté de la plume et du cadrage nous saisit tout le long de ces trois heures, pour ma part réductibles. La lenteur, voulue et parfois nécessaire, peut parfois nous extirper un bâillement regrettable lorsque l'on a en face de soi un tel tableau cinématographique. Winter Sleep vaut véritablement le coup de se consacrer, sous un soleil estival, quelques heures à l'hiver. 

  • Vivre 2 mois à Barcelone : le bilan

    Novembre 2013, une liste légèrement froissée se promène dans la classe. Le titre ? "Postuler pour un stage à l'étranger". Hésitante, je décide pourtant d'inscrire ma candidature. Courant 2014, suite à quelques entretiens, l'équipe enseignante de mon BTS communication m'offre la chance de faire un stage dans une boite internationale en plein cœur de Barcelone. "Super !" pensais-je immédiatement, d'autant plus que cette ville fut l'objet de nombreuses escales estivales, me familiarisant d'ors et déjà avec le terrain. Mais l'engouement envolé, un flot de questions se sont mélangées dans ma tête : où allais-je vivre ? Avec quel argent ? Comment faire s'ils ne me comprennent pas, avec mon espagnol hésitant ? Et le plus redouté : comment vivre deux mois, coupée de tout contact avec mes proches. Car le soleil, la mer, les musées, les excursions, sont des moments agréables lorsqu'ils sont partagés (confère la note de Supertramp dans Into the Wild "Le bonheur n'est réel que lorsqu'il est partagé" mais la solitude noircissait tous ces projets alléchants. J'étais alors coincée sur un pont chancelant entre la sécurité et l'expérience inconnue.

    J'ai décidé de partir, début juin 2014. Arrivée plaza Cataluna, je me retrouve face à une circulation abondant, des touristes en masse, des habitants, des jeunes qui discutent autour d'un café, une vielle dame qui achète un ticket de loterie dans une des petites cabines de la place où une maigre personne, coincée dans ce qui pourrait être une cabine téléphonique, vend des jeux de grattages. Et là, parmi ce chahut déroutant, m'attend une charmante quadragénaire du nom d'Emi qui me loue une chambre durant les semaines à venir.

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    En franchissant le seuil de l'appartement, je croise avec plaisir une jeune fille énergique de mon âge, qui m’assomme jovialement de questions avec la rapidité d'un TGV Lyon/Paris. A la vue de ma bouche béante, elle reprend, plus doucement, en articulant d'un ton presque scolaire. Mais je sens que je vais me plaire ici. 

    Il est étonnant de voir comment une ville diffère de nos souvenirs de plaisancier lorsqu'on vit sous le rythme métro, boulot, dodo. Les personnes sont plus accessibles et me considèrent presque comme une barcelonaise. Lorsque je me pose dans un café, en attendant des collègues ou en reposant mes jambes d'acheteuse compulsive, la personne tenant le bar vient me faire la discussion, pensant que je suis du quartier. J'en viens même à indiquer aux touristes les routes à prendre pour rejoindre le site qu'ils s'efforcent à chercher sur une carte probablement à l'envers. Je réponds aux sourires de dames âgées à qui je laisse ma place dans ces wagons trop petits et en vient à faire la discussion avec des anglais dans les boites de nuits que je fréquente avec les étudiants de mon école. Barcelone est une ville ouverte sur le monde, mais dont on ne sent pas chez ses habitants une saturation amère envers les touristes qui affluent et freinent le passage des grandes avenues. La richesse de leur culture m'a ouvert un peu plus les yeux sur ces personnes au quotidien très simple, dont on peine à deviner la conjoncture économique actuelle et le salaire minimum de 700 €, ces familles qui se réunissent autour d'une table de restaurant à n'importe quelle heure de la journée pour le plaisir d'être ensemble, à ces femmes qui assument leur féminité et leurs formes qui jureraient dans un magazine de mode prônant le luxe et la taille 34, à ces hommes qui ne détournent pas les yeux sur chaque fessier rencontré mais qui osent parfois un sourire timide ou nous aborde gentiment en boite de nuit, tandis que les touristes s'engagent dans des approches pesantes. Je suis heureuse d'avoir dit oui, oui à ce pas vers l'inconnu, oui à ce stage qui m'a appris comment tenir une entreprise en côtoyant ses créateurs et dirigeants, et à vivre avec la différence culturelle, et c'est émue que je rédige ces quelques lignes en projetant déjà de revenir dans cette capitale au coeur débordant de sympathie. Et le plaisir sera d'autant plus fort qu'il sera cette fois partagé avec les gens d'ici.

     

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  • Boyhood, de Richard Linklater

    boyhood-movie-poster.jpg12 ans. C'est le temps qu'il aura fallu au réalisateur Richard Linklater pour créer chez le spectateur un rapport intime avec les personnages qu'il voit réellement grandir sur l'écran. La première scène centre notre attention sur un jeune garçon, Mason, yeux plongés dans le ciel sous les notes saisissantes de Yellow du groupe Coldplay. Cet océan bleu introduit d'emblée cet infini, cette immensité, auquel est confronté l'être humain dès le plus jeune âge. Tous les champs d'actions possibles se déploient devant ses yeux écarquillés à la couleur avoisinant celle du ciel. Les années défilent et nous suivons la famille de Mason, une mère affectueuse séparée d'un père aux attentions nobles mais qui manque cruellement de maturité, et d'une soeur boute-en-train au caractère plus effacé l'adolescence venue. La vie professionnelle captivante de l'un, ou la passion stimulatrice de l'autre moduleront et forgeront leur caractère au fil des années.

    La mise en scène sensible et efficace fait subtilement défiler la bobine du film de leur vie. Le réalisateur met en parallèle les différentes époques représentées avec des éléments phares du XXI ème siècle, indicateurs temporels mais également clin d'oeil à une Amérique qui se démarque culturellement : l'élection de Barack Obama, le port des armes et l'initiation des plus jeunes, le phénomène Lady Gaga, ou encore l'essor du réseau social facebook. 

    Ces bribes de leur vie, en apparence anecdotiques et légères, forment une fois assemblées les raisons de décisions importantes, ou du chemin de vie de certains protagonistes. Chaque personnage porte un regard poétique et intelligent sur le monde dans lequel il évolue. Lorsque Mason, âgé d'une dizaine d'années, questionne son père sur l'existence des elfes et des créatures magiques, ce dernier répond honnêtement qu'ils sont une invention, et ajoute alors que pourquoi la baleine, par exemple, géant des mers et créature bien réelle, ne serait-elle pas magique ? En effet, si nous tournons notre regard différemment sur ce qui nous entoure, les hommes, les animaux, la nature, nous pouvons apercevoir toute la richesse et la beauté qui résulte en chacun d'entre eux. C'est une véritable bouffée d'optimisme que nous offre Linklater.

    12 ans après. Nous y sommes. Les enfants ont désormais atteint la majorité, pleins d'ambitions et de projets pour leur vie future. Et nous comprenons. Ce sont ces moments qui, à une année donnée, avec une personne donnée, dans un lieu précis, nous ont rendu vivant : révolté, incompris, amoureux, haineux, fier, libre, déçu, jaloux, passionné. Ce n'est pas l'obtention d'un diplôme qui nous rend nécessairement fier, ou l'indépendance financière qui nous octroie la sensation de liberté, mais tous les aléas de la vie et ces moments, ces instants à part, qui nous saisissent.

     

    Boyhood, été 2014