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Extrait - L'accident

Les jours passèrent. Semblables. Je veux dire par là, un réveil strident, un brossage de dent, regard dans le vague, petites mèches tentant de faire ami-ami avec l’électricité statique, dentifrice glissant dans une allégresse folle sur mon menton docile. Puis le trajet, sept minutes de marche, 5,30 quand je m'autorise une marche rapide matinale, unique sport à compter de ce jour, et 8,20 quand mon corps crie de toute sa force de retourner dans la chaleur de mes draps. Les cours. Les ragots de mes amies dont la vraisemblance importe moins que le degré de scandale. Une tartine de nutella, deux quand la voix diablotine gagne contre la voix angelique. Les devoirs exécutés à leur plus haut degré de superficialité, et enfin, le repos. Oui un quotidien ordinaire d'une jeune fille tout aussi ordinaire, ordinairement située entre l'âge enfantin et les désirs adolescents. Par désir, n'y voyez pas d’obscénité, juste une volonté de parer ses lèvres de rouge et de bifurquer à mes aises de boites en boites, et, éventuellement, de rencontrer Alex qui, découvrant la femme fatale qui se cache en moi, s'agenouillerait devant ma toute puissance. Bon, pour l'instant, je reste à mon chignon coiffé décoiffé et à mes converses blanches, du moins blanches sur l'étiquette de leur boite en carton. Mais depuis quelques temps, une amitié émergente rompait mon quotidien : celle que j'entretenais avec Joy depuis ce fameux appel téléphonique. A ses côtés, j'avais l'étrange impression d'être moi, d'être complète. En fait, je me demande comment je faisais avant elle. Mes amies sont adorables, mais je ne sais pas pourquoi, je ne me sens pas toujours moi à leur côté. Avec Emilie, je vais revêtir le manteau de la pseudo peste critique qui rit des mésaventures de ces filles qui se bataillent pour être la plus maquillée, ou la plus haut perchée. Avec Marie-So, je me change en une personne calme et silencieuse. Lorsque je croise Nicolas, c'est dans des moments brefs d'échanges entre deux sonneries, nous sommes donc toujours sur la même longueur d'onde de la complaisance, de la robotique question « ça va ? » induisant l'apparition de sa consoeur « ça va ». Mais avec Joy c'était différent. Je sentais que je pouvais tout lui dire, divaguer comme je m'entends à le faire avec quelques amis d'autres collèges qui me connaissent pour ma capacité à rire de tout,et à déblatérer des paroles souvent vides de sens, n'ayant que pour objectif le fous-rire commun. Je suis le clown de la bande pour ainsi dire. Et je peux, lorsque j'en ai envie, poser sur le coin de mon bureau mon sourire XXL et parler avec elle de chose plus sérieuses. De la vie en général. Des discours auxquels on apporte peu d'importance, mais qui sont essentiels pour se définir, savoir où nous en sommes dans notre vie, dans nos relations familiales, dans toute la complexité que ces discussions contiennent. J'avais le sentiment que l'écho de nos rires avait déjà retentis, il y a plusieurs années. Ou peut-être lorsque nous étions fleurs voisines dans un champs de campagne dans une vie antérieure, ou bien chevaux d'un centre équestre de renom.

« - Marine, dépêche-toi bon sang ! Tu vas être en retard en maths et moi en sport ! » S'écria Joy, à quelques pas de la porte du collège, sourire au lèvre en mimant, bras ballant, la lassitude. »

 

La sonnerie des 16h45 annonça la fin du cours de musique. J'ai proposé hier au soir que Joy vienne chez moi pour regarder quelques unes de ces vidéos qui font le buzz sur la toile, de manger un nombre déraisonnable de tartines chocolatées, et, ah, oui... Faire le devoir de mathématiques que nous a assigné Monsieur Presat, professeur qui joint en un seul groupe une partie de ma classe et une partie de celle de Joy. Groupe dans lequel je n'avais jamais fait attention à elle avant qu'Emilie en vienne à en parler, pour son lien étroit avec le garçon dont je suis follement éprise.

« - Tu ne crois pas qu'on devrait s'y mettre, maintenant ? Demanda Joy, étant une très bonne élève, et adorant le jeu consistant à faire valser ensemble des chiffres et des lettres. Jeu auquel je me serais bien abstenue, faute d'en comprendre les règles.

- Oh, soupirais-je, on a le temps, non ?

- Comme tu voudras, reprit-elle un peu sèchement mais dont l'impartiale douceur de son caractère formait une brèche sur sa glaciale réponse. Mais, Marine, poursuivi-t-elle, tu ne t'inquiète pas pour le conseil de classe dans deux semaines ?

- Oh non, pitié, ne me parlez pas de ça !

- C'est pour ton bien si on s'inquiète de toi comme ça avec les filles...

- Avec les filles ? Parce que vous parlez de moi derrière mon dos ? Qu'est-ce que vous dites, que je suis une ratée, pas même fichue de prendre conscience de ses notes catastrophiques ? Que malgré les tentatives de redressement de mes professeurs je n'en fais encore qu'à ma tête ? C'est ça, que vous dites quand je ne suis pas là ?

Mon cœur était serré. Je sentis que Joy était terriblement mal face à mes propos, mais ma colère grondait et je ne pouvais la taire. Elle approcha son bras du mien qui retenait à son extrémité un poing serré et tremblant.

«  - Mais c'est pour toi que...

- Rah, c'est bon, lâche-moi Joy ! » m'écriais-je en me relevant brusquement, faisant valsé son bras par dessus la table, entrainant avec moi le plateau qui contenait nos tranches de pain. Evidemment, cela n'aurait pas été une scène théâtrale si ledit plateau ne rencontrait pas dans son basculement le récipient à sucre en cristal de ma mère, ramené l'an passé du Portugal.

« - Et merde ! Fis-je d'un ton accusateur envers moi-même, dans un élan vocal toujours aussi rauque et froid.

- Donne, je vais t'aider à ramasser, fit calmement Joy en s'accroupissant sous la table à manger. Mais je la releva aussitôt.

- Tu vas te blesser avec tous ces bouts de... »

Joy émit un assourdissant Aie !, qui me glaça le dos.

- Quoi, quoi, qu'est-ce qu'il y a balbutiais-je à la vue de la soudaine crispation de son visage et de ses yeux qui commençaient à scintiller.

- J'ai un bout de verre qui est rentré dans ma plante, souffla-t-elle, comme si la douleur lui avait coupé la voix.

- Oh mon dieu, m'écriais-je en portant un regard attentif à son pied droit taché de sang, c'est pas une simple égratignure ça ! Bouge pas, j'appelle ma mère !

- Je ne risque pas de bouger... »

Ma mère appela les urgences depuis son travail, sans oublier de ma qualifier en chemin de « cruche », de « catastrophe ambulante » ou « d’insouciante ». Mais savait-elle seulement que si je n'avais pas fait enlever ses ballerines à Joy pour lui éviter de retrouver la maison sale à son retour, toute cette scène n'aurait jamais eu lieu ? Du reste, jusqu'au passage où la partie brisée qui soutenait le couvercle du réceptacle en sucre ne rencontre la plante de ma pauvre petite Joy.

 

Elle fut amenée à l’hôpital depuis notre domicile. Ma mère, arrivée en furie dans la demie-heure, et moi-même tentions tant bien que mal à suivre l'ambulance, noyée dans les bouchons citadins de fin de journée.

Dans la voiture, aucun bruit. Seuls les cliquetis des doigts énervés de ma mère contre le volant résonnaient. Profitant de cette vague de silence, je me remémorais toute l'action. Je ne me reconnaissais moi-même pas : d'où est-ce que je retenais en moi une telle colère ? De telles accusations envers mes amies qui m'ont toujours soutenues ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi contre elle ?

 

 

Commentaires

  • J'adore la scène mais attention, y a des petites fautes...
    Les devoirs exécutés à leur
    Consoeur
    J'entends avec le s

    L'histoire est trop bien, vraiment, avec ce suspense un peu glauque mais hyper attachant. Je veux la suite ;-)

  • Merci pour la correction ! Pour l'instant j'ai pas mal de pièces/films/événements à retranscrire, mais il faut que je m'y remette vite pour ne pas perdre le fil de l'histoire. Merci pour ta lecture :)

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