Au début, parce que ça fait maintenant quinze ans que je fais ce métier, j'avais un peu de mal à lâcher l'affaire, j'avais besoin de jouer des rôles qui me ressemblaient absolument, de me raccrocher à ça. Il ne fallait pas me mettre de perruque qui puisse me sortir de ma carapace.
Aujourd'hui c'est tout le contraire, j'ai envie qu'on me rajoute une perruque, qu'on me rajoute un faux nez, enfin ça ça va j'en ai déjà un ! Le personnage du père dans Paris-Willouby est complexe dans sa manière d'aborder les choses, il pourrait crier mais il est remplit de doutes. Il y avait vraiment beaucoup de choses à faire avec ce personnage. Ce projet qui m'a d'emblée excité car il ouvrait des possibilités d'interconnections entre les personnages, des liens qu'ils ont créé.
Pourquoi avoir attendu autant pour un rôle au cinéma ?
Pour avoir un premier rôle au cinéma il faut être dans un système : sortir d'une école, avoir un réseau, être bon. On dit souvent que le talent c'est d'avoir envie de faire des choses, le reste c'est du travail. Il faut se donner le temps de travailler. La construction d'une carrière ou d'un statut est très longue. Ou bien ça peut être une rencontre, un imprévu comme Marceau qui vient avec sa copine et c'est elle qui a le rôle.
Je retiens la phrase d'un producteur qui disait : "Il faut dix ans pour que ça arrive du jour au lendemain". Et c'est un peu mon aventure : on grandit, on apprend, on se gorge d'expériences et petit à petit des événements font qu'on vous repère, que vous êtes connu, ce qui rassure les producteurs et les équipes de film. Aujourd'hui des projets se montent, on a envie d'embarquer des inconnus dans l'histoire parce que ça nous est arrivé. J'ai vécu des refus de type : "Non mais De Groodt il est pas connu, on va pas le prendre" et j'étais là sur le trottoir comme un con. Il faut provoquer la chance, pour moi c'était l'aventure Canal où les gens se sont rappelés que j'étais avant tout comédien.
Comment ça s'est passé pour vous, sur le plateau, lorsqu'il vous arrivait de ne pas être en phase avec votre personnage ou avec ses dialogues ?
Les réalisateurs ont une intention, et au comédien de le dire avec ses mots, parfois encore mieux qu'eux-même ne l'auraient imaginé. L'idée c'était de comprendre que lorsque j'émettais des réserves, ce n'était pas pour moi, mais pour nous. Je ne disais pas les mots pour moi mais pour nous. Ça fait un peu tarte de dire ça mais un film c'est un peu comme un "bien commun". Pour prendre un exemple culinaire, eux choisissent de préparer une blanquette, et nous nous recevons tous les ingrédients. On se jauge, on estime les choses, on propose des regards différents, on se dit : "Tiens là il faudrait un peu plus de ceci" et c'est comme ça que le film évolue.
C'est un art qui n'est pas gravé dans le marbre, il est essentiel qu'il y ait une marge de tolérance d'un côté comme de l'autre.
Les tensions dans un tournage sont donc inévitables ?
Nous avons eu une discussion dès la première scène, car nous les comédiens sommes assez poreux, on s'imprègne des sentiments, des intentions, de l'histoire, des regards, de notre partenaire de jeu. Le moindre détail compte et ce qui est important est d'être rassuré en le jouant à notre manière, d'avoir notre petite cuisine. J'ai eu tout de suite beaucoup d'indications, de précisions. C'était très important pour les réalisateurs de concrétiser ces années d'écritures en lançant leur tout premier "action". Mais je me suis sentit cadenassé. Alors je leur ai dit très simplement : "Les gars, il faut que vous puissiez nous laisser pondre notre oeuf et qu'après, dans un deuxième temps, de tenter de faire ce que vous souhaitez selon votre projet artistique". Ce qu'ils ont considéré et c'est aussi ce qui a participé à la bonne ambiance entre l'équipe.
Les réalisateurs Quentin Reynaud et Arthur Delaire, et le comédien Stéphane De Groodt
Un film écrit, réalisé par vous, c'est un projet qui se profile ?
Oui certainement, mais à moi de trouver le temps, de m’asseoir, d'être dans ma bulle pour me concentrer la dessus. Si je suis interrompue une semaine, trois semaines, un mois, c'est un peu compliqué pour moi. J'ai besoin d'être dans un tunnel. Je devais le faire au printemps dernier mais j'ai commencé à écrire mon bouquin, puis je devais m'y remettre et je suis parti pour Canal trois mois. Prochainement, je vais tourner à Gaza pour Kaboul.
J'ai toujours eu besoin de "pondre mon oeuf", c'est la notion d'expression intime. Nous, les hommes, on ne tombe pas enceints et l'écriture c'est pour moi une façon de pondre quelque chose, de donner vie. Pas par la poule, hein, mais l'image de façonner quelque chose, de créer ce qui n'a jamais été fait auparavant. Aménager un lieu où les regards vont atterrir avec un prisme différent. Je suis sur deux pistes que je ne sais pas vraiment comment aborder.
Maintenant il faut que je me mette d'accord avec moi-même et si j'avais un producteur qui me dirait "Qu'est ce qu'on fait ?", les choses évolueraient peut-être différemment.
Avez-vous peur que pour votre premier rôle, le succès ne soit pas à la hauteur de vos espérances ?
Je ne pense pas que je le prendrai personnellement. On parle des acteurs, des scénaristes, des producteurs... Mais il faut aussi saluer les distributeurs, avec qui une relation de confiance s'installe dès le début. Je suis heureux de voir que Paris-Willouby a une super promotion, pour une ambition qui n'est pas celle de Star Wars. C'est une chance folle de pouvoir s’asseoir autour d'une table, discuter avec les journalistes, avec vous, et de parler pendant une heure de ce film.
Après c'est le jeu. Si le film ne marche pas, nous nous serions appliqué du mieux que nous le pouvions, les risques auront été les mêmes. C'est comme une critique de film, si elle est nourrit, sincère, même violente, du moment où il y a une honnêteté de la part de l'auteur qui prend le temps de nuancer ses propos, j'accepterai. C'est aussi comme ça que l'équipe toute entière avance.
Propos recueillis à Lyon, le vendredi 15 janvier 2016